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La Suisse connaît encore la démocratie directe. Merci qui?

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1878 18 décembre 2009
La Ligue vaudoise n’a pas soutenu l’initiative contre la construction de minarets. Notre position apparaît à certains d’autant plus critiquable aujourd’hui que le texte a été approuvé par le peuple et les cantons. Ces critiques sont l’occasion de faire un petit rappel historique. Si la Suisse connaît encore une démocratie directe effective, c’est grâce au Canton de Vaud et surtout à la Ligue vaudoise! C’est elle qui avait permis de rétablir le plein exercice de la démocratie directe en Suisse après la Seconde Guerre Mondial.

A l’époque, la démocratie directe avait été partiellement suspendue. Le 30 août 1939, le Conseil fédéral reçoit les pleins pouvoirs. En matière de sécurité, mais aussi de levée d’impôts par exemple, il a une grande marge de manoeuvre. Par ailleurs, l’Assemblée fédérale obtient le moyen de légiférer rapidement en cas de besoin, à l’aide de la clause d’urgence: les arrêtés fédéraux dits urgents, votés à la majorité de tous les membres de chaque conseil, sont soustraits au référendum. Leur durée est limitée, mais ils sont en fait le plus souvent renouvelés – toujours d’urgence. De plus, ces arrêtés sont souvent contraires à la Constitution fédérale, lorsque les Chambres s’estiment obligées d’y déroger sans avoir le temps d’utiliser la procédure légale de révision (1).

En 1945, six mois après la cessation des hostilités, les mesures d’exception restent toujours intégralement en vigueur. Les autorités fédérales ont pris goût aux pleins pouvoirs et ne sont pas pressées de rétablir la démocratie directe telle qu’elle était prévue par la Constitution fédérale de 1874. Pourquoi demander l’avis du peuple et des cantons si on peut s’en passer? L’administration fédérale, qui a grossi démesurément durant la guerre, ne montre aucun signe d’amaigrissement. De toutes parts on se plaint d’une bureaucratie devenue accablante.

Devant ce constat, à la fin de l’année 1945, la Ligue vaudoise lance deux initiatives fédérales «pour le retour à la démocratie directe». La première demande une nouvelle réglementation des arrêtés fédéraux urgents: les Chambres conservent le droit de légiférer dans l’urgence, mais sans pouvoir soustraire cette législation plus d’un an au référendum. On exclut ainsi tout emploi abusif de la clause d’urgence. La seconde initiative vise à abroger la législation d’exception en vigueur, c’est-à-dire les arrêtés urgents adoptés durant la guerre ainsi que les pleins pouvoirs du Conseil fédéral.

Les deux initiatives aboutissent en été 1946, recueillant chacune plus de 56’000 signatures. Les efforts des membres de la Ligue vaudoise sont couronnés de succès dans leur pays. A lui seul, le Canton de Vaud réunit deux fois 22’000 signatures!

Quelle est la réaction du Conseil fédéral? On s’en doute, il utilise tous les moyens possibles pour éviter le succès des initiatives devant le souverain. Les textes restent enfouis trois ans à Berne. Le Conseil fédéral attend le mois de juillet 1949, au moment où les gens partent en vacances, pour brusquement fixer la date de la votation au moment le plus défavorable (début septembre), soit à la rentrée des vacances.

Mais rien n’y fait. Le 11 septembre 1949, le peuple et les cantons disent OUI à l’initiative réformant la clause d’urgence. Acculées, les autorités fédérales renoncent aux pleins pouvoirs et abrogent la législation d’urgence. La seconde initiative devient sans objet. Après une décennie d’absence, la démocratie directe réapparaît en Suisse. Elle connaîtra, on le sait, un beau succès! En cette année 2009, nous venons de fêter les soixante ans de son rétablissement. Merci au Canton de Vaud. Merci à la Ligue vaudoise (2)!

 

NOTES:

1) Les nombreux articles que M. Philibert Muret a rédigés sur les initiatives dans La Nation, entre 1945 et 1949, ont fourni la matière à ces explications. Profitonsen pour saluer le doyen de nos rédacteurs!

2) Quoique critiques du système démocratique, nous avons toujours affirmé notre préférence pour la démocratie directe sur la démocratie parlementaire. Plaidant pour le retour à la démocratie directe en 1945, Marcel Regamey affirmait: «La Ligue vaudoise ralliée à la démocratie? Tel est le commentaire sarcastique de quelques bons apôtres toujours prêts à opposer les mots aux mots sans se préoccuper de la réalité qu’ils recouvrent. […] il faut répéter la maxime fondamentale de toute nation ordonnée et libre: lex fit ex constitutione principis ac consensu populi: la loi est faite par la décision du prince (l’Etat indépendant) et l’assentiment du peuple. […] Sur le plan fédéral, contre la toute-puissance d’une majorité numérique du peuple, nous défendons les droits des cantons et, contre la toute-puissance de l’administration fédérale, nous défendons l’institution du référendum. Nous ne nous dissimulons pas les imperfections du référendum tel qu’il est organisé par la Constitution. Pour obtenir un assentiment réfléchi et profond du peuple, il ne suffit pas de soumettre à un masse d’électeurs distraits et indifférents un projet tout fait, sur lequel il faut répondre par oui ou par non. […] Toutefois, avec toutes ses imperfections, le référendum demeure la garantie essentielle de nos libertés, le frein indispensable sur la pente glissante vers la démocratie totalitaire.» (Marcel Regamey, «Démocrates?», em>La Nation No 205, 1er novembre 1945).

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Les minarets entre l’égalité et la réalité – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • De Copenhague à Crémone – Daniel Laufer
  • Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans – Jacques Perrin
  • Sept ans après – La page littéraire, Denis Ramelet
  • Les Vallotton: un siècle au service de la peinture – La page littéraire, Jean-Philippe Chenaux
  • Le tricheur philosophe – Jacques Perrin
  • Enfin un discours chrétien! – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Une analyse pertinente – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Courageux – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Le niveau, oui ou non? – Revue de presse, Jean-François Cavin
  • On nous écrit: agitation à l'Université – On nous écrit, Samuel Guignard
  • Les lances de Breda – Jacques Perrin
  • On ne peut pas laisser n'importe qui s'exprimer sur des sujets sensibles – Le Coin du Ronchon