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La croissance, une question de rythme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1914 6 mai 2011
Certains de nos concitoyens pensent que la prospérité vaudoise actuelle est une bulle proche de l’éclatement. Ils pressent l’Etat d’agir et de prendre des mesures dans le sens d’une décroissance organisée. Mais la décroissance volontaire est si contraire à la nature humaine et à la vie en général qu’elle nécessiterait – sans certitude de réussir – une mainmise sans précédent du pouvoir étatique sur tous les domaines de l’activité humaine, sur la recherche scientifique et technique ainsi que sur l’industrie, bien entendu, mais aussi sur la natalité. Ses partisans les plus caricaturaux sont les néo-malthusiens de l’organisation Ecopop, qui se préparent à lancer une initiative fédérale pour limiter la croissance de la population à 0,2% par année. Ces gens-là manifestent curieusement – ou logiquement, si l’on est d’avis que les extrêmes se touchent – la même prétention à maîtriser le monde que les technocrates qu’ils abhorrent.

Nous croyons quant à nous que tout Vaudois devrait être reconnaissant et heureux qu’on en ait à peu près fini avec une dette disproportionnée qui nous affaiblissait face à nos voisins et à la Confédération. Heureux aussi que le Canton puisse recommencer à investir dans des travaux trop longtemps repoussés.

Pour le conseiller d’Etat Pascal Broulis1, notre réussite économique est le résultat d’une authentique production de richesses, qui se manifeste notamment par l’augmentation de nos exportations. Ce n’est pas une surchauffe artificielle, mais une situation économique nouvelle et durable: «Il s’agit d’accompagner cette croissance, surtout pas de la stopper», dit notre argentier.

On peut ne pas partager entièrement son optimisme, il n’en reste pas moins qu’un minimum de croissance économique est nécessaire, ne serait-ce que pour incorporer les nouveautés techniques à la vie ordinaire et pour supporter matériellement la longévité accrue et coûteuse de nos concitoyens.

Cela dit, le critère fondamental de jugement et de décision d’un gouvernement, ce n’est pas la croissance, mais le bien commun, qui se formule prioritairement en termes d’unité nationale, d’affirmation collective de soi et d’indépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Le bien commun demande que le mouvement de prospérité s’étende à toutes les régions du Canton et profite à l’ensemble de la population. Il impose aussi que la croissance ne se fasse pas au détriment de notre identité.

Nous ne disons rien qui ne soit connu de tous quand nous affirmons que la croissance actuelle se fait avant tout sur les bords du Léman; que la facture sociale augmente à peu près à la même vitesse que la prospérité; que la réalité vaudoise est mitée – pour reprendre un terme à la mode – par une immigration laissée à elle-même; que le littoral lémanique souffre en particulier de l’afflux de ces immigrés haut de gamme, cadres des grandes entreprises que nous nous efforçons d’attirer, qui vivent entre eux sans manifester d’intérêt pour le destin du Canton et qui sont prêts à le quitter d’un jour à l’autre.

De communauté enracinée, le Canton est menacé de se transformer en une zone anonyme de délocalisation à la disposition occasionnelle de multinationales vagabondes.

En parlant de la participation de tous à la prospérité, nous ne pensons pas tant à la redistribution des richesses à travers l’impôt qu’à la cohérence entre les différentes activités économiques et la société dans son ensemble: si la Suisse se tire si bien d’affaire, et depuis si longtemps, c’est qu’elle a toujours assuré cette cohérence grâce à une évolution technique et économique suffisamment lente pour intégrer à la croissance tous les changements sociaux que celle-ci entraînait.

La maîtrise de la croissance, c’est surtout la maîtrise de son rythme.

Le bon rythme tient compte de ces exigences syndicales, régionales, morales, psychologiques que les progressistes de droite ou de gauche nomment indistinctement «forces de résistance». C’est bien là le problème, car un tel rythme est nécessairement plus lent que celui d’une croissance purement économique, a fortiori d’une croissance purement financière. Ceux qui s’y soumettent s’en trouvent moins compétitifs, en tout cas à court terme. C’est aujourd’hui considéré comme inacceptable.

Que peut faire l’Etat face à la croissance? Il peut la faciliter en réalisant à temps les travaux d’infrastructures qui relèvent de sa compétence, en particulier dans le domaine des transports, de l’énergie et de la sécurité. Il peut aussi éviter de pénaliser les entrepreneurs par une fiscalité spoliatrice ou une bureaucratie vétilleuse.

En sens inverse, que peut-il faire pour freiner quand la machine s’emballe, et pour imposer à la marche de l’économie un rythme supportable pour la population? Mieux maîtriser l’immigration? Ce serait la moindre des choses, mais l’omniprésence du principe égalitaire et d’encombrants engagements internationaux l’empêchent d’agir avec une rigueur suffisante. Conduire une politique anticyclique, retenir ses propres commandes dans les périodes d’euphorie pour les passer dans les époques creuses? Sans doute, mais c’est maintenant qu’on a besoin d’une double troisième voie entre Lausanne et Genève. Pas dans trente ans. La marche d’action est étroite.

Ce qu’on peut en tout cas demander au gouvernement vaudois, c’est de ne pas forcer la vapeur, de ne pas soumettre notre droit aux exigences de la croissance à tout crin, de ne pas sacrifier notre manière de vivre à la crainte de se retrouver dans une situation de disette.

C’est pourtant ce qu’il fait quand il prétend aujourd’hui «mettre l’accent sur la lutte contre cette thésaurisation des terrains constructibles dans les centres, notamment à travers une révision de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC), dont il autorisera prochainement la mise en consultation. Ainsi, un droit d’emption permettrait, à certaines conditions, aux communes d’acheter des terrains constructibles sur lesquels rien ne serait bâti. Le Gouvernement prévoit également de favoriser les remaniements parcellaires, empêcher la sous-utilisation du potentiel constructible des parcelles et taxer davantage les terrains constructibles non utilisés.»2 Un propriétaire se donne le luxe de conserver une oasis de verdure dans un ensemble densément construit? Qu’il soit dénoncé et taxé, en attendant d’être exproprié, pour crime de lèse-croissance!

Sans doute l’offre de terrain à bâtir est-elle gravement insuffisante dans certaines parties du Canton, ce qui conduit à une augmentation vertigineuse des prix et des loyers. Mais avant de s’en prendre au droit de propriété, on devrait d’abord se demander si cette hausse disproportionnée n’est pas un nouveau signal d’alarme nous indiquant que notre rythme de croissance outrepasse nos capacités actuelles.

 

NOTES:

1 «Monsieur le président, où en est le canton de Vaud?», 24 heures du 26 avril 2011.

2 Communiqué du BIC (Bulletin d’information et de communication du Canton de Vaud) du 29 mars 2011.

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