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«Le Pays-d’Enhaut» de Pierre-Yves Lador et Jack Varlet

Jean-François Cavin
La Nation n° 2072 9 juin 2017

Pierre-Yves Lador est un homme du livre, puisqu’il a été vingt-deux ans directeur de la Bibliothèque municipale de Lausanne, et aussi parce qu’il en a écrit beaucoup. De quel genre? A peu près tout. Il s’est fait  romancier, poète, essayiste, polémiste à l’occasion, auteur de nouvelles et de textes érotiques. Et le voici devenu, grâce à un beau volume sur le Pays-d’Enhaut, géographe, géologue, botaniste, agronome, historien, économiste. Tout ça? Rien de ça, protestera-t-il avec un sourire amusé et modeste; il dira avoir simplement glané ici et là les connaissances utiles à une présentation substantielle de la contrée qu’il aime.

Lador, enfant, a passé des vacances au Pays-d’Enhaut. Il a épousé une fille de Château-d’Oex. Il y a pris domicile à sa retraite. Mais il n’avait pas prévu de chanter ce pays. C’est le hasard d’une rencontre avec un éditeur franco-suisse, qui publie une collection vouée à de beaux endroits, qui a poussé notre auteur, réticent au premier abord car il ne fait pas dans l’écrit documentaire, à accepter la mission; et l’on sent qu’il en a été au fond très heureux.

Il bâtit son ouvrage sur la référence aux éléments, pour rester proche des forces essentielles: la terre, l’air, l’eau, le feu, auxquels il ajoute l’herbe, le bois, la pente. Cette construction se mêle au cheminement d’un journal, du 16 mars 2015 au 19 avril 2016, évoquant les monts, les alpages, les rivières, les villages au fil des saisons. L’écrivain tire de ce double repérage un texte plein de découvertes, de surprises, de réflexions nostalgiques ou de piques politiques, de digressions savantes ou humoristiques. Lador est un grand marcheur; et son livre, en quelque sorte, nous invite à l’accompagner dans ses promenades et randonnées, où l’on divague parfois, où l’on prend des sentiers de traverse, où la découverte d’un bloc erratique vous entraîne à imaginer la gestation de ce monde montagnard, où la contemplation d’un alpage vous conduit à une leçon d’économie rurale.

Notre auteur aime la nature et la vie; il se fait donc le chantre du «bio» et de l’approvisionnement de proximité. Il n’apprécie guère l’industrie déshumanisante, la mondialisation gaspilleuse et déteste manifestement la finance. Mais comme il ne manque ni de réalisme, ni d’humour, il admettra peut-être que la venue de riches estivants contribue à la survie de son petit paradis…

L’écrit est à la fois très précis – dans la description de la fabrication du gruyère, ou dans l’histoire du Grand Chalet de Rossinière dont c’est la dimension des caves à fromage, voulues par Jean-David Henchoz dès 1752, qui détermine l’ampleur du palais, ou dans l’évocation des séjours de Ramuz au tournant des siècles – et porté par un vrai souffle de poésie. J’aimerais dire l’essentiel, ce qu’on peine à nommer, l’indicible, l’âme, le corps subtil, les ondes, le silence, l’air et les sons qui en découlent et qui animent la danse des particules, des atomes, des images, des êtres…, écrit-il en introduction, et il y parvient. Voilà une œuvre très personnelle, originale et forte, qui s’inscrit en contrepoint des photographies de Jack Varlet (il y en a aussi plusieurs de Lador lui-même et quelques-unes de Jo Pesendorfer); beaucoup sont superbes; toutes ont un sens; et les légendes qui les accompagnent sont empreintes de tendresse et de drôlerie – d’une main légère.

Ne manquez pas de déguster ce livre, savoureux comme une tomme de Rougemont ou comme le filet d’un broutard damounais, et qui élève la réflexion plus haut que la Gummfluh.

 

Le Pays-d’Enhaut, éditions du Belvédère, 192 p., novembre 2016 – ISBN: 978-2-88419-453-2

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