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Fred Blanchod, voyageur vaudois

Jacques Perrin
La Nation n° 2109 9 novembre 2018

Les Mœurs étranges de l’Afrique noire: ainsi s’intitule un livre de 1943 déniché par hasard sur un rayon de bibliothèque. Il pique la curiosité de trois personnes, Luc Michel, Monique et Aymon Baud, qui décident d’enquêter sur son auteur, le docteur Fred Blanchod. Il en résulte un ouvrage paru cette année aux éditions Georg.

Blanchod, né en 1883, l’un des cinq enfants d’une mère rolloise et d’un père originaire d’Avenches et Ballens, mourut en 1963.

D’un mot à la mode, nous qualifierions sa vie d’hyperactive. Il fut médecin généraliste à Bière puis à Lausanne où il se spécialisa en angiologie; bellettrien, membre du Rotary, major à l’armée, médecin de place à Bière, et un temps président de l’Association des amis vaudois de l’OSR. Marié à Camille Malan, rencontrée à l’occasion d’une théâtrale de Belles-Lettres, il fut veuf très tôt, épousa Marie-Joséphine Bianchetti et devint père d’une petite fille.

Ayant accepté, entre 1914 et 1926, quatre missions médicales pour le compte du CICR et du gouvernement britannique, il en conçut un goût prononcé des voyages. Entre 1927 et 1952, il fit cinq tours du monde dont il tira matière à composer une dizaine de livres à succès, plusieurs fois réédités, et à présenter plus de deux cents émissions radiophoniques de 1939 à 1955 (le Globe sous le bras).

La lecture de Fred Blanchod, de docteur à globe-trotter nous apprend beaucoup sur l’activité incessante d’un médecin vaudois de la première moitié du XXe siècle et sa manière d’envisager le monde.

A cette époque, le médecin de famille figure au premier rang des notables, avec l’instituteur et le pasteur. Blanchod parcourt le Pied du Jura à cheval, en traîneau ou en voiture, de Bière à Apples, de Montricher à Saint-Livres, pour rendre visite à ses patients, qui l’apprécient. On le nomme bourgeois d’honneur de Ballens pour services rendus lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918. Mobilisé lors des deux conflits mondiaux, il est envoyé à l’hôpital de Lyon en 1915 et se familiarise avec la chirurgie de guerre. Il accueille régulièrement des amis chez lui, notamment Ernest Ansermet, le géologue Elie Gagnebin1 ou Henri Roorda.

Comme son ami Ansermet, Blanchod aime la bonne chère. Un jour, les deux compères déjeunent dans un restaurant italien de Paris. Le chianti coule à flots. Ansermet déguste un morceau de gorgonzola. Il sort sa montre: 14h20! Son concert à l’Opéra avec les Ballets russes commençait à 14h… Il saute dans un taxi et rejoint Diaghilev fou de rage; le public tape des pieds…

Elu au Conseil municipal de Bière, Blanchod propose, d’entente avec le pharmacien, que l’on puisse fumer durant les séances. La proposition est acceptée à condition que le président puisse décider, lorsqu’il le jugera opportun et qu’on n’y verra plus clair, de clore la tabagie.

Autre temps, autres mœurs.

La passion de Blanchod pour les voyages retient évidemment l’attention. Toujours affublé d’un casque colonial (il craint les effets du soleil), il n’est ni chasseur, ni missionnaire, ni commerçant; il ne se soucie pas d’objectifs scientifiques ou médicaux. Il se conçoit comme un simple témoin, un passeur désirant raconter ce qu’il a vu. Je rentre tout chargé d’une rumeur de pensées qui me tiendront compagnie quand je n’aurai plus rien à attendre de la vie que la garde-malade et l’entrepreneur de pompes funèbres, dit Blanchod que la finitude préoccupe. Il veut aussi échapper à la fiévreuse vie moderne. Il éprouve un mystérieux instinct de transhumance, un grand désir de voyager, élément de vitalité, et n’a pourtant rien du touriste. Voyageant seul, sans armes, il court des risques. Un chirurgien anglais l’opère d’une appendicite à Madras et lui sauve la vie; Blanchod contracte plus tard la malaria. Il prépare minutieusement ses périples, lit, prend des notes, fait des photos et restitue ses observations dans des livres. Il adore les rencontres de hasard, se lie à certains indigènes. Il lui arrive de tomber sur des compatriotes vaudois. Il croise un certain Paul de Blonay au Kenya; au Maroc, il aperçoit deux cavaliers en burnous noirs à la tête d’une caravane de chameaux: il s’agit de deux dragons vaudois, un Mange de Bière et un Renaud de Gimel!

Blanchod est ambivalent. Pour lui, il ne fait aucun doute que la civilisation occidentale du début du XXe siècle est infiniment supérieure à toutes les autres. Il n’a rien contre le colonialisme, mais pressent que celui-ci défigure l’Asie et l’Afrique et leur nuit. Il soigne volontiers les indigènes atteints d’affreuses maladies et n’accepte d’être porté à dos d’homme qu’à contre-cœur. Il estime pourtant qu’il ne faut pas évangéliser les autochtones, la mission servant surtout à modérer les excès des… colons. C’est une erreur de forcer les Noirs à s’habiller comme nous, cela les dégrade. Le vrai visage de l’Afrique est modifié par la Bible et maquillé par le commerce, écrit-il.

Blanchod approuve l’idée que si nous instruisons trop les autres peuples et leur imposons un mode de vie qui leur est étranger et néfaste, ils nous haïront. Il observe aussi que les deux guerres fratricides auxquelles les Européens se sont livrés signalent le crépuscule de la race blanche.

Notes:

1  A propos d’Elie Gagnebin, voir Yves Gerhard et Marc Weidmann, Elie Gagnebin, géologue et ami des artistes, éd. de L’Aire, 2016.

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