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Un petit canton est plus fort qu’une grande région

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1785 26 mai 2006
On ne comprend rien aux problèmes des relations entre les cantons et la Confédération si l’on n’a pas en tête le fait que l’existence de deux pouvoirs exerçant la contrainte publique sur le même territoire et la même population est contre nature. La vie privée et sociale serait rigoureusement impensable si le citoyen se voyait soumis à deux pouvoirs distincts prenant en même temps et sur le même objet des décisions différentes, voire contradictoires.

Or, toute confédération est précisément fondée sur la coexistence de deux pouvoirs. Cela pose un problème politique de fond, que la Suisse a réglé en désignant le canton comme seul détenteur du pouvoir d’origine, la Confédération ne disposant pour sa part que des pouvoirs délégués. On conservait ainsi, sinon un pouvoir unique, du moins une source unique du pouvoir.

La solution n’est pas parfaite: même si les deux pouvoirs sont de nature différente, ils n’en conservent pas moins l’un et l’autre quelque chose de la tendance monopolistique propre à tout pouvoir. Certes, la distinction rigoureuse des compétences empêche les heurt directs. Et l’exigence de la double majorité pour les modifications constitutionnelles et le référendum facultatif contre les lois et arrêtés fédéraux assurent des relations plus ou moins équilibrées entre les cantons et la Confédération. Mais une certaine tension subsiste. Cette tension, jointe au fait que l’Etat fédératif est plus Etat que fédératif, explique en partie que les institutions suisses ne cessent de se centraliser depuis plus de deux siècles.

Le système confédéral n’est pas «évident», comme on dit. En effet, qu’un pouvoir politique délègue des compétences à une ou plusieurs entités plus petites, à l’image du canton qui délègue des tâches aux communes, on se le représente sans difficulté. Mais qu’une délégation de pouvoir puisse émaner d’une multitude de petites entités au profit de l’entité unique qui les englobe, il faut une certaine imagination pour le visualiser. Cela ne rend pas la position fédéraliste facile à défendre.

De plus, l’attribution continuelle de nouvelles compétences à la Confédération a fini par la pourvoir implicitement d’une espèce de crypto-compétence générale qui fait concurrence à celle des cantons. Le citoyen se sent dès lors sous la coupe simultanée de deux pouvoirs de même nature. Il y en a un de trop et beaucoup de gens estiment que c’est le pouvoir cantonal.

La Constitution fédérale a certes conservé jusqu’aujourd’hui le principe de la souveraineté originelle des cantons. Mais elle le fait coexister avec d’autres principes ou institutions qui vont en sens opposé: la subsidiarité, introduite lors de la révision générale de 1999, la possibilité pour deux ou trois cantons de demander au parlement fédéral de contraindre un canton tiers à adhérer à une convention dont il ne veut pas, cette autre possibilité pour dix-huit cantons de demander au même parlement fédéral l’extension d’un accord intercantonal à l’ensemble des cantons, la création, il y a quelques jours, d’«organes communs» libérés des contrôles parlementaires et populaires, sont autant de dispositions qui inversent le mouvement traditionnel des relations confédérales.

Désormais, la Confédération invite les cantons à collaborer sous sa haute autorité, contrôle leur gestion dans le domaine de la formation – en attendant de le faire dans d’autres domaines – et intervient «subsidiairement» quand cela lui convient.

La place croissante que prend la subsidiarité dans les lois et les discours révèle que, pour le législateur fédéral, c’est désormais la Confédération qui délègue – et retire! – les compétences aux cantons. L’autonomie législative cantonale fait place à une décentralisation sous contrôle.

C’est ainsi qu’on transforme un système qui a assuré des siècles de relative paix confédérale en un système de conflit programmé entre deux groupes linguistiques numériquement inégaux. La région romande, kleibérisée et pécarisée à outrance, dépourvue de la souveraineté qui conservait une certaine indépendance même au plus petit des cantons, ne sera plus qu’une minorité quémandeuse et pleine de rancoeur, une région informe condamnée à tendre la main et parfois le poing en direction d’une ville fédérale majoritairement suisse alémanique.

Tous les partis et même certains gouvernements cantonaux considèrent cette évolution comme un fait social et politique avéré auquel il est réaliste de se plier. Nous croyons au contraire que cette évolution est superficielle. C’est un montage juridique à fondement idéologique et à but électoral conçu en marge des réalité cantonales qui continuent de former l’essentiel de la Suisse.

Pour le bien de la Confédération, le combat fédéraliste reste d’une brûlante actualité.

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