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Croquis de campagne

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1742 1er octobre 2004
A 9 heures - avant ça n’en vaut pas la peine - nous installons notre table au milieu du passage, avec les affichettes et les feuilles de signatures. L’emplacement, juste au bas de la Madeleine, est idéal. Très peu de concurrence. Nous sommes sept: aucun signataire potentiel ne passera dans les environs sans être abordé.

D’ailleurs, tout le monde est potentiel. On ne sait jamais qui va signer. Un Vaudois avec accent et moustache dont j’espère beaucoup, refuse sous le prétexte qu’«on va vers l’Europe». Un jeune à catogan contemple un le stand durant quelques secondes et se décide: «Ça, je signe!» J’avise deux jeunes gens, un blanc et un noir. Le blanc n’est pas d’ici, le noir si. Il écoute, puis signe d’un nom suisse alémanique. Une mère voilée se laisse convaincre et pose sa griffe.

L’accueil est amical, souvent intéressé, les signatures rentrent facilement. Mais nous ne déclenchons ni mouvements d’enthousiasme ni cris d’horreur. C’est que l’initiative se situe au niveau des institutions et propose un mécanisme général qui ne vise pas un domaine plutôt qu’un autre, autrement dit, qui les vise tous. Certains ont l’imagination qu’il faut pour aller au-delà de l’abstraction du texte, d’autres non.

Quelques passants estiment que le système est trop compliqué, à quoi nous répondons qu’il vaut mieux que la Constitution prenne en compte la complexité existante plutôt que de la dissimuler sous une simplicité mensongère. De plus, le mécanisme proposé tient en trois lignes et deux phrases, il est limpide, facile d’usage et s’inscrit sans problème dans le système.

Une jolie juriste de l’Etat affirme avec véhémence que l’initiative est contraire à l’esprit du référendum. On a beau lui dire que l’esprit du référendum est tout entier dans le contrôle par le peuple du travail de ses mandataires au parlement et que notre initiative est parfaitement conforme sur ce point, elle part à grands pas en secouant sa crinière «je-ne-signerai-pas!».

On nous oppose encore qu’«on est assez souvent dérangé comme ça». Il ne faut jamais se plaindre de pouvoir donner son avis. De plus, le vote par correspondance réduit le dérangement à vraiment peu de choses.

Plusieurs des personnes abordées affirment avoir peur de l’immobilisme qui serait la conséquence de notre initiative. Nous argumentons sur le fait que le changement n’est pas bon en soi, et soulignons que les autorités communales sont en général des personnes de sens rassis qui ne recourront au référendum qu’en cas d’extrême nécessité. Nous rappelons que le référendum sert même quand on ne s’en sert pas, par la simple pression qu’il exerce sur les autorités exécutives et législatives. Il renforcera aussi le poids des organisations qui représentent les communes, soit l’Union des communes vaudoises et l’Association des communes vaudoises.

Une passante dénonce l’aspect conflictuel du référendum des communes: «Il faut désamorcer les conflits, non les susciter!». Le Ronchon lui répond que c’est le déséquilibre des forces en présence et les décisions imposées sans égards pour l’autonomie des communes qui créent les conflits. Le rééquilibrage qu’offre notre initiative permettra au contraire de les atténuer.

Un voltairien: «Je ne suis pas sûr de vous suivre, mais il faut que l’électeur en discute... je signe!».

Une jeune fille bien mise: «Je suis très pressée car je dois faire les magasins...»

Un qui ne craint pas la contradiction: «Il y a un gouvernement, laissez-le gouverner. Ça va déjà assez mal comme ça!».

Il y a aussi ceux qui ont leur petite idée personnelle: «Tout ça, c’est de la rhétorique, ce qu’il faut, c’est évacuer c’te bande et mettre des types valables aux commandes!».

Un couple trop en colère pour signer: «On devrait commencer par ne plus entretenir tous ces étrangers!». Ils ont probablement fait la même représentation au stand des scientologues et à celui de l’Association contre la boulimie et l’anorexie, servi par deux dames fort sympathiques.

Enormément d’Américains. Sous leur œil ému et attentif, nous nous sentons incroyablement touristiques. Revenus de leur périple international, après avoir évoqué les chasseurs de rennes du grand Nord et les danseuses de Bali, ils pourront décrire à leurs amis l’étrange spectacle offert par des citoyens suisses exécutant leurs rites civiques.

Inspiré par notre allant, sans doute, un maraîcher qui fait l’angle interpelle les passants: «Mes radis, exprès pour vous!...»

Un observateur superficiel pensera que la table n’est là que pour porter les feuilles de signatures. Erreur! La table est notre port d’attache, le centre psychique de notre essaim. Quand on connaît ces baisses de pression pendant lesquelles le passant nous semble inatteignable, quand on ne supporte plus de s’entendre argumenter (ce qui n’aide pas à convaincre), on en revient à la table comme Antée revenait à la terre. On échange trois mots sur la malice des temps et on replonge dans la tourmente, requinqués.

La grande horloge de l’Hôtel de Ville nous annonce que nous arrivons à midi. Les gens sont toujours aussi nombreux, mais plus pressés. Le rendement baisse. On plie bagages, avec presque trois cents signatures. On reviendra...

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Les 4000 et les communes – Olivier Klunge
  • Les quatuors d'Ernest Bloch – La page littéraire, Jean-Blaise Rochat
  • "Tout va bien", estime Michel Thévoz – La page littéraire, Vincent Hort
  • Une véritable ambassade culturelle – La page littéraire, Jean-Jacques Rapin
  • La Suisse occidentale et l'Empire – Jean-François Poudret
  • Articles de foi – Jacques Perrin
  • Moins de postes, plus de sport – Le Coin du Ronchon