Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’Hydre continue de croître

Benoît de Mestral
La Nation n° 2250 5 avril 2024

La loi fédérale sur les épidémies, à laquelle la Ligue vaudoise s’était opposée il y a un peu plus de dix ans (cf. La Nation no 1975), est à nouveau en chantier. Ce «monstre législatif», pour reprendre les termes employés à l’époque par M. Delacrétaz, pourrait bien se doter de quelques nouveaux crocs, mandibules et autres terribles attributs.

Le Conseil fédéral a mis en route la démarche de révision de la loi en juin 2020, soit juste après la sortie «aussi lente que nécessaire» des pleins pouvoirs. Le réflexe peut paraître sain: si presque toute la gestion de l’épidémie se fait en dehors du cadre de la loi fédérale sur les épidémies, l’existence d’un problème ne fait pas grand doute. Le résultat de cette démarche n’est manifestement pas sain.

Le projet mis en consultation par le Conseil fédéral – consultation à laquelle la Ligue vaudoise a naturellement participé – continue sur la même lancée que la loi en vigueur. La mécanique des trois situations est maintenue. En situation extraordinaire, aucun changement: le Conseil fédéral est seul maître à bord.

En situation particulière, les cantons ne conservent de compétence que si le CF veut bien leur en laisser. La loi ne fait ici qu’enregistrer la pratique 2020-2022, comme elle le fait notamment en inscrivant dans la loi une liste exemplative de mesures: masques faciaux, plans de protection, traçage, travail à distance. Puisque la liste n’est pas limitative, cette énumération ne sert à rien. Il semble qu’on retrouve dans ce projet un peu de l’esprit de la lex covid: justifier après coup des mesures parfois douteuses prises dans l’urgence. C’est exactement le contraire du but d’une loi, qui doit anticiper de manière générale et abstraite des problèmes à venir. Ce copier-coller depuis la lex covid dans la LÉp est très regrettable, tant d’un point de vue légistique que d’un point de vue politique.

Reste donc la situation normale. Les cantons continuent de perdre des compétences au profit de l’administration fédérale et du Conseil fédéral. Ainsi par exemple, lorsqu’une situation particulière «menace de se produire», la Confédération gagne des compétences, qu’elle doit exercer en accord avec les cantons. Le projet ne précise pas qui, de la Confédération et des cantons, constate l’existence d’une telle menace, ni comment procéder en cas de désaccord; il y a là une grave lacune. Dans le registre des mesures préparatoires d’ordre général, le projet de loi ôte à l’OFSP le pouvoir d’ordonner aux cantons la prise de mesures contraignantes. Une victoire pour le fédéralisme? Pas vraiment: les cantons sont maintenant contraints de mettre au point, coordonner, publier, vérifier et actualiser régulièrement des plans de préparation et de gestion, selon les exigences fixées par l’administration fédérale. La perte de souveraineté est la même, et l’administration cantonale est obligée d’engager quelques experts en PowerPoint supplémentaires.

Outre cet aspect de la LÉp dont nous avons tous fait l’expérience, elle traite bien d’autres domaines. En voici un bref florilège. La surveillance des maladies transmissibles au niveau fédéral est maintenant étendue aux maladies intransmissibles (curieux pour une loi sur les épidémies, non?) et, naturellement, numérisée. La loi permet en outre à l’OFSP de faire participer «d’autres établissements» à la surveillance des pathogènes, même en situation normale. La vaccination peut maintenant être prodiguée, sur décision des cantons, en pharmacie, à l’école secondaire et à l’université, au travail. Tout cela est bien entendu «monitoré» et numérisé en lien avec le dossier électronique du patient. Les frontaliers font soudainement partie de la population, selon le rapport explicatif, et peuvent jouir de l’approvisionnement en biens médicaux assuré par le Conseil fédéral. Les auto-tests peuvent être interdits si le CF ne fait pas confiance à la population pour s’isoler en cas de résultat positif. Le certificat sanitaire est pérennisé; on ne parle que de son utilisation pour le voyage, en évitant soigneusement la question épineuse de son utilisation en lien avec des mesures internes. Les aides financières au développement de biens médicaux et d’antibiotiques peuvent être fournies même sans garantie de priorité à la livraison pour la Suisse. La mobilité globale devient un sujet de préoccupation équivalent à la lutte contre les zoonoses et aura ses fonctionnaires. Le traçage des contacts existera sur un registre unique fédéral et bien entendu numérique. La durée de conservation des données n’est pas limitée par la loi, et l’interconnexion de ce registre à d’autres dépend uniquement du Conseil fédéral. Finalement, les aides financières liées aux mesures que l’on a connues ces dernières années sont pérennisées. En cas de situation particulière ou extraordinaire, le Conseil fédéral peut disposer des bourses cantonales en sus de la sienne pour faire crédit aux entreprises en difficulté.

La lutte contre les épidémies est évidemment un travail complexe et ardu. La volonté du Conseil fédéral de tenir tous les fils est compréhensible face à la tâche dont il est chargé. Elle n’est pas pour autant compatible avec l’ordre constitutionnel suisse, et le nouveau projet de loi est, tout autant que le dernier, contraire à l’esprit fédéraliste qui a fait le succès de la Confédération.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: