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Un peu de bonne volonté...

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1793 15 septembre 2006
Au Conseil d’Etat vaudois

Vous avez demandé au Grand Conseil un délai supplémentaire d’une année pour rédiger un contre-projet à l’initiative «La Parole aux Communes». Il vous l’a refusé le 29 août, par nonante-huit voix contre trente et une et cinq abstentions. C’est une première victoire de fait des initiants: il n’y aura pas de contre-projet. La discussion ne portera donc pas sur les modalités (nombre de communes, organe décisionnel, etc.) mais sur la question de principe: les communes doiventelles disposer d’un droit propre d’en appeler au peuple quand les intérêts qu’elles représentent sont menacés par une loi ou une décision cantonale?

Avouez que vous n’avez pas fait preuve de beaucoup de bonne volonté jusqu’à maintenant. L’initiative a été déposée le 24 décembre 2004. Il vous a fallu trois mois pour la déclarer valide et dix-huit autres mois pour rédiger votre demande de report. Et ce retard ne saurait être imputable à la complexité de la matière ni à l’ampleur de vos recherches: l’initiative tient en trois lignes et demie et les quatre pages d’analyse censées justifier votre demande au Grand Conseil n’ont en aucun cas demandé plus d’une journée normale de travail.

L’article 82 alinéa 1 de la Constitution vaudoise vous accorde un délai de deux ans au maximum pour soumettre une initiative au peuple. Vos atermoiements injustifiés ont rendu impossible le respect de cette exigence. Nous ne voterons pas avant l’année prochaine, en juin si l’on en croit ce qu’a déclaré le conseiller d’Etat Mermoud au Grand Conseil. C’est anticonstitutionnel, mais cela vous indiffère apparemment au point que vous ne vous êtes même pas sentis tenus de donner une explication, fût-elle mauvaise. Vous étonnerez-vous que cette indifférence à la Constitution éveille quelques craintes auprès des autorités communales?

Votre exposé des motifs est biaisé sur trois points. Vous dites que seule une minorité des cantons connaît le référendum des communes. C’est la vérité, mais ce n’est pas toute la vérité. Il aurait été correct de signaler aussi que dans ces six cantons, le référendum des communes est d’introduction récente. Le Jura le connaît depuis le 1er janvier 1979, date de son «entrée en souveraineté», Soleure depuis 1986, Bâle-Campagne depuis 1987, le Tessin depuis 1998, les Grisons depuis 2004 et Zurich depuis l’année dernière. Le référendum des communes s’étend à un rythme accéléré. Les partisans de «La Parole aux Communes» ne rejoignent donc pas une minorité en voie de disparition. Ils font au contraire partie de ceux qui commencent à voir la nécessité de renforcer les communes face à l’envahissement de l’administration d’Etat. Seraient-ils d’ailleurs les seuls de toute la Suisse à proposer ce droit qu’ils n’en auraient pas tort pour autant.

Sous prétexte que, dans la majorité des six cantons qui connaissent le référendum des communes, c’est le «législatif» qui introduit la demande, vous jugez que la proposition de «La Parole aux Communes» de confier ce rôle aux municipalités est infondée (1). Pourtant, ce type de décision requiert des qualités qu’on trouve dans les municipalités plutôt que dans les conseils communaux ou généraux: une bonne connaissance des procédures de l’Etat, une vue complète des affaires de la commune, dans le détail et dans l’ensemble, dans la durée et dans l’actualité, ainsi qu’une perspective claire sur les diverses appartenances intercommunales et sur les collaborations de tout genre avec d’autres communes. L’attribution de la compétence à la municipalité s’impose donc non seulement pour des motifs pratiques, mais aussi pour des raisons de fond.

Vous mentionnez en passant que la Constituante n’a pas voulu d’une telle disposition. Et alors? Ce n’est pas le seul point où elle a vu trop court! Et d’ailleurs, avez-vous émis une telle remarque quand les représentants des partis politiques ont affirmé publiquement le 20 mai dernier qu’ils soutenaient l’élargissement aux affaires cantonales du droit de vote des étrangers? (2) Cela non plus, la Constituante ne le voulait pas.

Le refus du Grand Conseil vous place en face d’un sérieux problème. Vous vous apprêtez à recommander au peuple de refuser «La Parole aux Communes». En d’autres termes, vous préférez qu’il n’y ait rien plutôt que cette initiative, alors même qu’elle répond à un manque avéré dont vous-mêmes étiez conscients au point de prévoir un contre-projet!

Vous vous justifiez en affirmant que l’initiative risque de «créer des distorsions dans la répartition des tâches, des ressources et des charges entre collectivités publiques» et «de créer des difficultés considérables dans la conduite de l’Etat». Ces allégations sont vagues et gratuites: il suffit de comparer le mécanisme proposé par l’initiative vaudoise avec celui des six autres cantons pour constater qu’elle est dans la moyenne, qu’elle est même plutôt exigeante dans les conditions imposées aux communes. Seul le Tessin va plus loin en prévoyant qu’il faut réunir vingt pour cent des communes pour obtenir le référendum. «La Parole aux Communes» prévoit dix pour cent et les cinq autres cantons sont en dessous. Soleure et les Grisons offrent un délai de nonante jours alors que nous nous contentons du délai de quarante jours prévu pour le référendum populaire. Aucun de ces cantons, à ce qu’on sait, ne s’est vu bloqué par un usage frénétique du droit de référendum des communes.

Vous savez parfaitement que les municipaux et les syndics sont pour l’essentiel des personnes de sens rassis. Il y a sans doute parmi eux quelques têtes brûlées et quelques étourdis – n’en existe-t-il pas dans le Grand Conseil? – mais on ne trouvera jamais trente-huit (3), ni vingt, ni même seulement cinq municipalités formées d’une majorité de têtes brûlées et d’étourdis. Il n’y aura de référendum des communes qu’en cas d’absolue nécessité.

Il y a d’un côté le déplaisir compréhensible que vous éprouvez à voir s’étendre un peu le contrôle du peuple sur vos projets et de l’autre l’intérêt du Canton qui exige qu’on rééquilibre les rapports de force entre l’Etat et les communes, effaçant du même coup une bonne partie du contentieux qui plombe leurs relations depuis des années. Pour qui a le souci du bien commun, le choix n’est pas vraiment cornélien!

De toute façon, finalement, c’est le peuple qui jugera, ce même peuple qui vous élit. Cela devrait en principe vous inspirer confiance.


NOTES:

1) Votre EMPD dit: «Dans cinq des six cantons qui connaissent cette institution, la compétence appartient à l’organe “législatif”». En réalité, c’est quatre sur six: dans les cantons de Zurich (Art. 33 Cst) et du Tessin (Art. 41 Cst), chaque commune peut déléguer à sa municipalité la compétence de décider de la participation communale à un référendum des communes.

2) 24 heures du 22 mai 2006.
3) Il y a aujourd’hui 378 communes dans le Canton de Vaud.

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