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M. Blocher et la liberté de la presse

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1794 29 septembre 2006

Les médias romands ont mis au point un petit jeu dont les règles sont simples: on peut écrire n’importe quoi sur M. Blocher, pourvu que ce soit en mal. Quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, quoi qu’il dise ou taise, le Zuricois a tort. S’il collectionne les oeuvres du peintre Anker, cela met crûment en lumière son attachement à une société patriarcale, moralisante et répressive. S’il possède un Giacometti, en revanche, c’est la preuve flagrante qu’il ne s’intéresse à l’art que pour faire de l’argent. S’il organise une conférence de presse, c’est de la provocation, s’il n’en fait pas, c’est de la censure. S’il se tait quand on l’attaque, c’est qu’il avoue. S’il se défend, il s’obstine dans l’erreur. Tantôt il est en roue libre et ne maîtrise pas son département, tantôt il fait la pluie et le beau temps dans la Confédération. Si sa femme le conseille, c’est elle qui commande à Berne. Si elle se désintéressait de la politique, on dénoncerait son «confinement dans la cage dorée de Rhäzuns» en évoquant moqueusement l’antique dicton Kinder, Küche, Kirche.

Citons quelques articles particulièrement inspirés: M. Blocher ressemble à «un chef de bande» (Denis Barrelet, 24 heures du 20 janvier 2004). C’est un «père fouettard», il est «totalement dénué d’imagination» (Jacques Pilet, L’Hebdo du 23 octobre 2003). S’il prend son département en main, Anne Dousse écrit qu’il «instaure le régime des pleins pouvoirs» (Le Matin-Dimanche du 7 mars 2004) et Titus Plattner que «les fonctionnaires de son département tremblent» (L’Hebdo du 1er avril 2004). Il a «une pensée économique sommaire» (Jacques Pilet, L’Hebdo du 11 décembre 2003). Son grandpère était «fascisant» (Gérard Delaloye, Aux sources de l’esprit suisse: de Rousseau à Blocher, l’Aire) et l’un de ses frères, pasteur, «a failli être révoqué, en 1977, sur pétition des fidèles, pour sa dureté et ses prêches jugés excessifs sur la prédestination» (Jérôme Meizoz, Le Courrier du 10 novembre 2003). C’est «un faible» et «un peureux» (Christophe Gallaz, Le Matin-Dimanche du 17 septembre 2006). «Blocher out», écrit Chantal Tauxe dans L’Hebdo du 6 septembre 2006 sous prétexte que M. Christophe Darbellay a affirmé qu’il ne voterait pas pour lui l’année prochaine (petites causes, grands effets). Vincent Bourquin, dans 24 heures du 14 septembre, relaie complaisamment le syndicaliste socialiste Christian Levrat accusant par la bande M. Blocher d’antisémitisme. Aucun de ses confrères ne l’ayant suivi sur cette piste juteuse, il faut croire qu’il n’y avait vraiment rien à suivre! Et Michel Zendali, qui avait invité le conseiller fédéral à son émission Infrarouge du 11 septembre: «S’il fallait désigner un scandale dans cette histoire, c’est le niveau de français de Christoph Blocher.» (24 heures du 13 septembre 2006) On n’est pas plus élégant! Inviter un Suisse alémanique pour se moquer de son français, cela fait-il aussi partie du «concept», pour reprendre ce grossier germanisme, dont se gargarisent les producteurs de l’émission?

Son plus grand délit est d’avoir demandé que les dessins réalisés par Mix et Remix à Infrarouge soient supprimés lors de la rediffusion de l’émission. Il n’en a pas fallu plus pour qu’on y voie une menace majeure contre la liberté de la presse. Deux fois deux pleines pages dans 24 heures! Et que je suis «choqué», et que «la censure n’est pas une voie acceptable», et que je dénonce «l’inadmissible dérive du ministre de la Justice», etc.

Les journaux et plus encore les médias électroniques ne sont pas seulement des organes d’information et d’opinion, mais aussi des instruments de pouvoir. Lorsqu’ils émettent tous sur la même longueur d’onde, relayés par des partis et des lobbies auxquels ils font écho dans un jeu croisé de citations réciproques, leur puissance de feu est sans équivalent. On peut comprendre que leur cible permanente s’en irrite au point de vouloir les faire taire. Ce ne pouvait être qu’un coup dans l’eau, et faire semblant de croire que la demande de M. Blocher menaçait la liberté de la presse est d’une hypocrisie crasse.

Même dans son sens le plus large, la liberté de la presse ne réside pas dans le droit du journaliste de dire impunément tout et n’importe quoi. Elle réside d’abord dans la volonté de celui-ci de serrer la vérité d’aussi près qu’il le peut. Sans ce souci de vérité, la liberté de la presse n’est qu’un droit vide.

Bien comprise, la liberté de la presse impose au journaliste de respecter les personnes et les faits, de garder en toute circonstance le sens des proportions et celui de l’équité, celui de ses propres limites, aussi. Celui qui ne respecte pas ces vertus professionnelles élémentaires n’est pas libre et sa pensée non plus.

C’est peut-être en cela que M. Blocher entrave la liberté de la presse romande. Non parce qu’il aurait menacé de l’égratigner sur un coup de chaud qu’il regrette probablement, mais parce que le mélange enfantin de haine et de crainte qu’il lui inspire la rend incapable de parler de lui d’une façon professionnelle.

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