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Drogue: les réponses existent, on les connaît

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 1815 20 juillet 2007
Dimanche 8 juillet dernier, la TSR a brièvement donné la parole à Mme Marlène Bérard, représentant les opposants au shootoir lausannois, et longuement interviewé les perdants. Le syndic Brélaz eut le temps de refaire la campagne et d’affirmer, sur le ton de l’évidence, que toutes les autres grandes villes de Suisse ont un shootoir et que «ça fonctionne très bien». Ensuite, Mme Solange Peters évoqua le manque de moyens des partisans et le caractère passionnel de l’argumentation des opposants. Pour terminer, on entendit le municipal socialiste Jean- Christophe Bourquin qui insista sur le fait qu’il avait été traité de «nazi» durant la campagne. Et la journaliste de conclure qu’on attendait maintenant les solutions de «la droite».

Qu’est-ce qu’un shootoir qui «fonctionne bien», comme dit M. Brélaz? Ce qui est certain, c’est que les riverains immédiats des locaux d’injection installés dans d’autres villes suisses doivent continuer à supporter les dealers à l’affût, les seringues usagées jetées à terre, les toxicomanes se piquant dans les immeubles alentour ou plus loin au lieu d’aller le faire dans le local. A Berne, il y a des bouchons devant le local, et certains se font leur première injection en attendant, plusieurs commerces ont fermé dans le quartier. A Bienne, on a dû construire une palissade pour ne pas incommoder les commerçants et leurs clients.

En ce qui concerne la vingtaine de malheureux qui hantent la Riponne, et dont un certain nombre consomment plutôt, paraît-il, des mélanges d’alcool et de médicaments, il est excessif de parler de «scène ouverte» comme si nous étions au Platzspitz ou au Letten des années 90.

Dire que les adversaires ont eu plus de moyens que les partisans est une manière un peu facile de nier la force de leur arguments. C’est de plus discutable. Rappelons que l’immeuble qui devait accueillir le shootoir et le «bistrot social» avait déjà été acheté, au prix fort de 8000000 de francs. Mettre la population devant le fait accompli, c’était aussi une manière de faire campagne! De même, l’exposition d’un shootoir modèle à la gare de Lausanne – bien entendu sans seringues tout alentour, sans démarcheurs de poudre, sans les sirènes des ambulances conduisant les overdosés à l’hôpital – était une autre façon d’appâter l’électeur en lui faisant croire à un miraculeux blanchiment de tout le sordide qui accompagne la toxicomanie. Pour la campagne ordinaire, les partisans ont eu une affiche, un papillon et un tous-ménages en quatre couleurs, tandis que le Comité contre le local d’injection a diffusé une affiche et un papillon en deux couleurs et pas de tous-ménages. Si les opposants ont publié pas mal d’annonces, ils n’ont pas eu droit à une seule ligne dans Vivre ensemble, le journal officiel de l’administration lausannoise, qui tire à 5000 exemplaires et dans lequel les partisans ont pu s’étaler sur deux pleines pages.

En ce qui concerne la qualification des arguments des uns et des autres, l’affiche des opposants, comme leurs annonces et leur prospectus, étaient de type argumentatif. Il est vrai que leur campagne s’est vue précédée ce printemps d’une affiche en coup de canon offerte aux Lausannois ébahis par M. Patrick de Preux, et doublée d’une affiche émotionnelle payée par l’UDC, sur le logo de laquelle la caméra de la télé s’est d’ailleurs longuement attardée dimanche soir (il n’y a pas de petit profit idéologique!). Mais n’est-il pas exact que M. Bourquin, perdant les pédales lors d’une séance contradictoire, lança à ses adversaires: «Si vous aimez les toxicomanes, c’est quand ils sont morts»? Il est même venu s’en excuser après le débat auprès d’un opposant. Est-ce ce type d’attaques que Mme Peters qualifie de «raisonnables»?

Un allumé aurait traité M. Bourquin de «nazi» lors de la même séance, ou dans la rue, les déclarations sur cette affaire sont pour le moins fluctuantes. Depuis lors, M. Bourquin n’a cessé d’y revenir, comme si cela avait été un élément majeur dans la campagne des opposants. L’auteur hypothétique de l’injure n’avait dans tous les cas pas le moindre lien avec le comité. De plus, ce type d’agression verbale est totalement contreproductif, et a probablement valu quelques voix au shootoir.

Les médias en général et la TSR en particulier ont donné l’image suivante de ce combat: une droite, pleine d’argent et ignorant tout de la question, a choisi cyniquement cette occasion pour se positionner par rapport aux prochaines élections. Recourant aux moyens les plus vils, elle a vaincu un syndic lucide, un municipal courageux et un médecin connaissant bien le terrain. Et maintenant, comme l’a dit M. Bourquin sur un ton revanchard, la Municipalité ne fera plus rien. Elle attendra les solutions des opposants, sous-entendant qu’ils n’en ont point, et qu’on sera bien content de revenir à son shootoir. En d’autres termes, leur plan B semble être de laisser pourrir la situation. Chaque rixe entre toxicomanes, chaque overdose sera longuement commentée devant les médias, et dénoncée comme une conséquence attendue du vote des Lausannois fourvoyés par une campagne mensongère. Et dans trois ans, ayant préparé le terrain idéologique, ils pourront revenir à la charge.

Il faut espérer que, passée leur déconvenue, les partisans reviendront à une vue plus calme et objective de la situation.

La «droite» (en fait, beaucoup de gens de gauche ont voté non) ne doit pas se laisser acculer par ceux qui la somment de fournir «la» solution. Il n’y a pas de solution nouvelle et inédite. Il existe en revanche une politique raisonnable et connue, qu’on pourrait améliorer.

La prévention est premièrement l’affaire des parents et de la famille, mais aussi de l’école et des enseignants, de l’Eglise. Sa fonction est d’orienter l’enfant ou l’adolescent en lui enseignant la maîtrise de soi, le sens de sa propre dignité, l’exercice de sa liberté, son rôle dans la communauté, la valeur de l’exemple qu’il donne aux autres. Elle lui montre aussi que la drogue altère la conscience du consommateur et le prive de sa liberté. Sur ce plan-là, l’école pourrait faire davantage, l’Eglise aussi.

La répression est du domaine de l’Etat. Elle a pour but de faire respecter la loi et de sanctionner les contrevenants. Elle pourchasse les fournisseurs, les empêche d’établir leur marché et de développer leurs réseaux, elle réduit l’offre, ce qui diminue la demande des consommateurs occasionnels. En ce sens, elle a un effet préventif. Son efficacité est relative, mais réelle. La répression est insuffisante, en ce que la police est contrainte de relâcher les petits trafiquants à peine arrêtés, et que la justice est pour l’heure dépourvue de moyens face aux délinquants mineurs que leurs aînés envoient au charbon. La loi doit être complétée et la chaîne pénale, de la police au geôlier, rendue plus cohérente.

Le troisième pilier, la thérapie, est l’affaire des médecins de divers intervenants et des travailleurs sociaux. Elle doit viser la réhabilitation physique et psychique du toxicomane, conditions nécessaires de sa réinsertion. Il importe ici d’augmenter le soutien aux centres résidentiels dont les thérapies sont axées sur l’abstinence, ainsi que ceux qui travaillent sur le «seuil moyen» et qui visent l’abstinence à un peu plus long terme. Et dans tous les cas, il faut arrêter l’affreux étranglement financier qu’on fait subir depuis des années à des établissements phares comme le Levant.

Enfin, cet énorme travail ne prendra son plein sens que s’il débouche sur la réinsertion sociale et professionnelle du toxicomane libéré. La réinsertion est au fond un quatrième pilier. Nous croyons que l’économie privée a sur ce point un rôle social de première importance à jouer.

Prévention, répression et thérapie: on constate chaque jour que ce triple filet de protection est troué et ne joue que partiellement son rôle. Mais les tentatives de le compléter par un aménagement officiel de la consommation ne font qu’y pratiquer des déchirures supplémentaires. Elles brouillent le message préventif, cassent le ressort de la répression en créant des endroits où le droit n’a officiellement pas cours et réduisent la thérapie à un contrôle d’hygiène intermittent. Notre société touche là aux limites de ses possibilités d’action.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Une fusion à douze – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Werner Reinhart, mécène magnifique – La page littéraire, Benoît Meister
  • Le giratoire du GTP – La page littéraire, Daniel Laufer
  • Le sanglier hégélien – Ernest Jomini
  • Echec(s) – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • En prendre de la graine – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Ma facture, ma chère facture – Le Coin du Ronchon