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Au début d'une longue campagne

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1829 1er février 2008
Ce n’était pas gagné. L’initiative «Ecole 2010» accumulait les difficultés: un texte rédigé de toutes pièces, extrêmement long et détaillé, technique par endroits, un public, notamment enseignant, trompé par une apparence de paix scolaire et, sur le plan politique, un lancement intervenant un bon mois trop tard de l’avis des connaisseurs (mais je connais des connaisseurs qui ont modifié leur avis!). Le résultat brut de seize mille signatures récoltées est d’autant plus remarquable.

Cet aboutissement montre que les auteurs de l’initiative se battent pour quelque chose d’essentiel à leurs yeux et qu’ils sont prêts à y mettre le temps, l’argent et la peine qu’il faudra. Il révèle aussi que la méfiance de la population est profonde à l’égard des incessantes réformes de l’Ecole vaudoise. Lors du dernier stand qu’ils ont tenu à Lausanne, les initiateurs n’avaient même plus besoin de héler les passants, qui se pressaient spontanément pour apposer leur griffe. De même, nos collaborateurs qui ont récolté des signatures à l’Université les obtenaient sans problème quand ils disaient, à juste titre, qu’il s’agissait d’une remise en question d’EVM.

C’est une très grande sottise de dire, en levant vertueusement les yeux au ciel, que cette initiative «relance la guerre scolaire», comme si les auteurs de l’initiative étaient des boutefeux irresponsables. La «guerre scolaire» n’a jamais cessé. A la suite du retrait de l’initiative pour le retour aux notes, le combat avait provisoirement perdu son caractère public. Mais les réformateurs n’en continuaient pas moins de mettre en place la filière unique, réforme majeure, par l’unification de la formation HEP et la mise en condition psychologique de la population. C’est à eux et à eux seuls que la prétendue «paix» profitait. Il était dans le cours des choses que des enseignants et des parents reviennent à la charge sur le plan politique. La guerre scolaire n’est pas «relancée», elle est redevenue visible, voilà tout.

Une très longue et difficile campagne commence dès aujourd’hui. Les angles d’attaque sont nombreux. La situation actuelle doit faire l’objet d’un constat détaillé et les effets réels d’EVM doivent être comparés avec les promesses de ses partisans. Il faudra reprendre les présupposés philosophiques, épistémologiques et pédagogiques des réformateurs et démontrer leur fausseté. Il faudra aussi dédramatiser l’échec scolaire et revenir sur l’importance des évaluations chiffrées et des moyennes. Il faudra encore préciser le rôle des parents et des enseignants dans l’éducation des enfants. Il faudra définir les relations justes entre l’école et la vie après l’école. A ce sujet, nous attendons que l’initiative soit l’occasion pour ses auteurs de réaffirmer l’éminente dignité des métiers de l’agriculture, de l’artisanat, de l’industrie, du commerce et des services, et, par conséquence immédiate et nécessaire, l’éminente dignité des filières qui y conduisent, même si elles ne sont pas universitaires.

Les réformateurs scolaires s’appuyant souvent sur ce qui se fait à l’étranger, en Finlande ces temps-ci, il faudra aussi leur répondre sur ce plan. Les expériences françaises, qui nous sont plus proches, sont pleines d’enseignements.

Il faudra encore convaincre une grande masse d’enseignants qui s’illusionnent sur l’étendue de leur autonomie professionnelle: «Quand je ferme la porte de ma classe, c’est moi le patron!» disent-ils pour justifier leur refus de participer à la bataille qui s’annonce. La formule n’est pas fausse, mais tout de même un peu courte. Il n’est pas indifférent de savoir comment la classe est composée et à quoi elle est censée conduire les élèves. Et ça, c’est de l’autre côté de la porte que ça se décide! On attend donc des enseignants qu’ils interviennent aussi en dehors de leurs classes. Il y a des choses qu’ils sont seuls à pouvoir dire, dans le choix du nombre de filières, par exemple, dans la conception des méthodes et des manuels ou dans le rôle des notes. Cela fait partie intégrante de leur responsabilité.

Pour l’heure, deux dangers principaux menacent l’initiative. La Constitution donne un délai de deux ans à l’Etat pour la soumettre au vote du peuple et l’on peut craindre que les réformateurs ne mettent à profit ce délai pour prendre une série de décisions irréversibles, notamment en matière de filière unique. Il est impératif, sauf à bafouer l’esprit des institutions, que l’initiative exerce un effet suspensif intégral sur les travaux de réforme. Tant le Grand Conseil que le Comité d’initiative doivent s’en assurer.

Mme Lyon et ses communicateurs, rompus aux manoeuvres d’encerclement et de séduction, annoncent qu’ils vont ouvrir grand le dialogue avec les responsables de l’initiative. Cela signifie qu’ils s’efforceront d’obtenir un retrait moyennant quelques engagements qu’Harmos (concordat suisse sur l’harmonisation de l’école obligatoire), interprété de façon adéquate, leur permettra de ne tenir que provisoirement. M. Daniélou, président de la Société pédagogique vaudoise qui est favorable à la filière unique jusqu’à la fin de la huitième (!), annonce une éventuelle «contre-initiative» si ces tractations ne débouchent pas sur un compromis recevable.

Mais les tentatives de séduction, les promesses et les menaces ne peuvent rien contre ce fait: «Ecole 2010» forme un tout cohérent qui a l’ambition de remplacer la loi scolaire actuelle. On ne peut découper ce projet en tranches. L’initiative doit être proposée au peuple dans toute son ampleur, à prendre ou à laisser.

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