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Imprescriptibilité

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1849 7 novembre 2008
L’initiative populaire fédérale «Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine» propose d’inscrire le texte suivant dans la Constitution suisse: L’action pénale et la peine pour un acte punissable d’ordre sexuel ou pornographique sur un enfant impubère sont imprescriptibles. Actuellement, le délai de prescription est de quinze ans.

Les chambres et le Conseil fédéral nous proposent de rejeter l’initiative. Le temps estompe les faits et détruit les preuves. Il déforme les souvenirs. Les risques d’erreur judiciaire augmentent à proportion du temps qui passe, à proportion aussi du caractère émotionnel du sujet. La prescription marque les limites temporelles de la justice humaine possible. Si atroce que soit le crime, si démesurées que soient ses conséquences, y compris dans le cas des «crimes contre l’humanité», la justice, en supprimant la prescription, va audelà de ce qu’elle peut raisonnablement assumer.

«Vous avez beau jeu de philosopher, nous répondront les initiants. Le temps ne prescrit pas les dommages physiques et moraux irréversibles qui ont été causés.» C’est vrai. Longtemps après le délai de prescription, les victimes et leurs familles continuent d’affronter des problèmes et des souffrances dont nous n’avons qu’une idée bien faible.

Notre société accorde le plus grand poids à ces problèmes et à ces souffrances. La victime prend une importance croissante dans les procès pénaux. La presse a pris l’habitude de l’interviewer, elle ou ses proches, et de leur demander leur avis sur la peine infligée. Ils la jugent presque toujours insuffisante. Ils attendent que l’Etat les venge, qu’il applique au minimum la loi du talion: oeil pour oeil, dent pour dent! Dans la brochure fédérale destinée à l’électeur, les initiants concluent leur argumentation en affirmant que «le choix ultime entre l’oubli et le recours à la justice doit appartenir à la seule victime».

Nous croyons au contraire que la décision appartient à l’Etat et à lui seul. La justice pénale n’est pas le bras public de la vengeance individuelle. Son approche n’est pas celle de la victime. Elle ne s’y oppose pas, mais elle l’englobe et l’oriente dans la perspective plus générale, rationnelle et proportionnée du bien commun.

Si l’on observe les choses dans cette perspective, on constate que le délit, tout délit, répand un trouble plus ou moins profond et plus ou moins durable dans l’ensemble de la société. C’est un mal diffus qui affaiblit les liens de confiance sociale, engendre un esprit de délation et induit la population à l’indifférence à l’égard du droit et des moeurs. La peine a pour effet principal de recentrer ce mal sur la tête du seul criminel.

La durée de la prescription dépend ainsi de l’effet social plus ou moins persistant du délit, qui est en général proportionnel à la gravité objective de celui-ci. Il y a toujours un moment où cet effet s’évanouit.

Les partisans de l’imprescriptibilité nient cela. Ils considèrent les délits auxquels ils voudraient l’appliquer comme des délits absolus, des actes en quelque sorte hors-humanité. Mais précisément: comment une justice tout humaine pourrait-elle traiter ces actes de façon adéquate?

Il reste que les initiants ont raison sur un point capital. C’est un fait avéré que l’enfant, victime d’actes qui sont incompréhensibles pour lui, n’arrive pas à prendre la distance nécessaire pour se rendre pleinement compte de leur caractère inacceptable, a fortiori pour les dénoncer. Il est écrasé non seulement par la peur, mais aussi par une honte d’autant plus lourde qu’elle est due à une faute qu’il n’a pas commise. Et même s’il arrive à en parler tant bien que mal, on ne lui accorde pas forcément le plus grand crédit, surtout quand il met en cause un adulte à la réputation sans tache et bénéficiant d’une autorité familiale, sociale ou religieuse.

Conscientes de cette réalité, les chambres ont modifié la loi en faisant courir le délai non plus à partir de la commission du délit, mais dès la majorité de la victime. Celle-ci aura donc jusqu’à trente-trois ans pour dénoncer son persécuteur devant les tribunaux. Ce nouveau texte répond ainsi dans une certaine mesure à ce qu’il y a de fondé dans la préoccupation des partisans de l’initiative.

Si l’initiative est rejetée, ce que nous souhaitons, la disposition votée par les chambres sera publiée et soumise au référendum facultatif. On peut être certain que personne ne le lancera.

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