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Les gymnasiens incités à la grève

Félicien Monnier
La Nation n° 1849 7 novembre 2008
Jeudi 30 octobre était jour de grève à l’Etat de Vaud. Estimant leur avenir financier menacé par la nouvelle grille salariale de la fonction publique cantonale, de nombreux fonctionnaires sont descendus dans la rue. Parmi eux, des maîtres de gymnase. Ils avaient déserté les classes dans la matinée après avoir expliqué à leurs élèves qu’il n’y aurait pas de cours ce jour-là. Grâce à la persévérance de rares enseignants, certains gymnasiens purent rester en classe et traiter en petits groupes quelque sujet littéraire ou scientifique.

Nous ne parlerons pas ici des motivations des grévistes, mais seulement d’un aspect intéressant, ou inquiétant: la présence de nombreux gymnasiens à la manifestation.

Habituellement, quand les cours sont suspendus, la plus part des élèves vaquent à des occupations personnelles. Cette fois, nombre d’entre eux sont allés soutenir leurs enseignants, arguant qu’il en allait de la qualité de leurs études gymnasiales: à enseignant mal payé, enseignement mal donné. Le romantisme contestataire des gymnasiens est bien connu. Ce ne serait donc pas si grave s’ils n’avaient pas été sollicités au moyen d’une lettre qui leur était adressée.

Intitulée «Profs. de gymnase en lutte», elle commence les salutations d’usage par «Chères gymnasiennes, chers gymnasiens». Elle est anonymement signée «vos enseignant-e-s dévoué- e-s» et des parenthèses nous indiquent qu’elle viendrait d’un gymnase vaudois bien déterminé. Elle ne porte la marque d’aucun syndicat et nos détracteurs pourront aisément l’attribuer à quelque groupe d’agitation d’extrême gauche.

Il est tout d’abord expliqué aux élèves les raisons de la grève, à savoir la nouvelle grille salariale de l’Etat de Vaud (Defco-System) avec une lourde ironie sur l’absurdité d’une telle abréviation: «[…] (Pas besoin de dico. Vous avez ici une définition) […]» La lettre évoque ensuite les «sacrifices salariaux» que subissent depuis une quinzaine d’années les enseignants de gymnase. Il y est d’ailleurs écrit que ces «sacrifices» représenteraient une baisse de 15% du pouvoir d’achat. Tout de suite après cela, il y est déclaré: «De plus, vous, nos élèves, êtes de plus en plus nombreux dans des salles de classe, parfois trop petites pour vous accueillir. Pour aller vite, celles et ceux qui sont vos enseignants, en paraphrasant une formule à la mode, travaillent plus pour… travailler plus, et bientôt gagner moins.» C’est proprement inacceptable! Cette grève portant sur des revendications salariales et non d’infrastructures, une telle affirmation relève de la manipulation. Il s’agit d’apitoyer les gymnasiens. On relèvera au passage le lien quasiment affectif tressé entre les enseignants et leurs élèves: «vous, nos élèves […]».

Ce lien se transforme plus loin en une véritable identification des étudiants à leurs professeurs: «Mais vos enseignants font partie des sacrifiés/ perdants de Defco-Sysrem, et désignés comme tels par le gouvernement vaudois. Aujourd’hui, un accord va très probablement être signé par le Conseil d’Etat vaudois. Ce n’est peutêtre pas la dernière [heure (?) ndlr.] qui sonne pour nous, mais il est très important pour nous de nous mobiliser fortement aujourd’hui et à l’avenir encore!» Le passage du «vous» au «nous» est très clair et la lettre continue en expliquant aux gymnasiens que «la dévalorisation du salaire des enseignant-e-s de gymnase est liée à une déconsidération et à une dévalorisation de notre profession et par conséquent de votre formation.» On instille à l’étudiant la haine de l’employeur en accusant ce dernier de s’en prendre à eux également. Enfin, les étudiants sont directement invités à soutenir le mouvement en venant manifester.

Le plus regrettable dans cette invitation est que jamais il n’y est insisté sur la gravité de la grève, qui est une rupture du corps social, un petit élément de guerre civile. C’est cette manipulation, mais aussi la complaisance avec laquelle les gymnasiens s’y sont soumis, qui justifient l’inquiétude que nous manifestions en début d’article.

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