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Lit de Procuste pour les communes vaudoises?

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1764 5 août 2005
L’article 168 de la nouvelle Constitution vaudoise a la teneur suivante:

«La loi détermine le pouvoir fiscal des communes. La charge fiscale ne doit pas présenter des écarts excessifs entre les communes.

La péréquation financière atténue les inégalités de charge fiscale consécutives aux différences de capacité contributive entre les communes.»

Les aînés se souviennent encore de l’époque lointaine où, la forêt rapportant encore quelque chose, on citait avec admiration et envie la liste des cinq communes «jurassiennes» dont les contribuables ne payaient pas d’impôt. Il s’agissait de petits paradis fiscaux plutôt théoriques, vers lesquels on n’a constaté aucun flux migratoire, une époque où la voiture était encore un luxe et le réseau routier modeste, sans parler d’un climat pas toujours enthousiasmant et de la difficulté d’avoir une vue assurée sur le lac. Puis, le bois n’ayant pas suivi la courbe du pétrole, lesdits paradis ont disparu.

Nous avons ensuite vécu l’époque de la classification annuelle (par l’Etat) des communes selon leur capacité contributive, selon une échelle qui a varié et qui, sauf erreur, au cours de ces dernières années, allait de 1 à 12 (ou 14?). Ce tableau, selon la législation alors en vigueur, constituait une première base d’un certain mécanisme de péréquation, notamment pour l’octroi des subventions. Une infographie permettait aisément de voir – ce que chacun savait – que les communes ayant la santé financière la plus éclatante se concentraient dans les districts de La Côte, avec quelques rares et accidentelles exceptions par le parachutage de quelque entreprise (par exemple l’immense halle de tabac à cheval entre Onnens et Bonvillars). Rappelons que le taux annuel de l’impôt communal tel que voté chaque année par les conseils communaux ou généraux, souvent après d’âpres débats, coïncidait généralement mais pas nécessairement avec la classification précitée: parmi les communes classées en 1 et qui le plus souvent avaient un taux entre 40 et 50% du taux cantonal, certaines, par la volonté du conseil communal ou général ou des électeurs, limaient farouchement le taux pour s’en tenir à un budget juste équilibré, alors que d’autres se lançaient dans une politique de thésaurisation visant à financer des projets plus ou moins somptuaires, peu ou pas subventionnables (ah! les salles polyvalentes!), avec le danger de susciter l’envie et l’appétit de l’Etat, danger qui, au début des années nonante, paraissait bien faible mais qui est devenu une réalité au fur et à mesure que le Canton s’enfonçait dans la crise financière.

C’est dans ce contexte qu’ont été engagées, encore sous le régime de l’ancienne Constitution, les difficiles négociations sur le projet Etacom, visant à modifier profondément la répartition des tâches publiques entre l’Etat et les communes et par la même occasion à accentuer la péréquation entre communes riches et pauvres. Ce projet, avec son système de «points d’impôt», était si complexe, voire confus, que seule une minorité de députés et de citoyens pouvait prétendre l’avoir parfaitement compris et être capable de l’exposer clairement. Si bien que c’est peut-être en désespoir de cause que le Grand Conseil tout d’abord, le peuple ensuite, l’ont accepté en 2001. Le peuple a en revanche rejeté, dans la foulée, l’initiative visant à l’introduction d’un taux communal unique.

Ce que toutes les communes «perdantes» ont en revanche bien compris, c’était l’importance de l’atteinte à leur autonomie dans la fixation du taux d’impôt que provoquait le régime Etacom.

Or ce n’était qu’un début. Entretemps entrait en vigueur la nouvelle Constitution, dont l’art 168 précité incite l’Etat à instaurer un régime général de péréquation directe entre les communes. Le Conseil d’Etat a ainsi imaginé, sous forme de projet de loi, un vaste système de redistribution généralisée des recettes fiscales communales. Le Grand Conseil a adopté cette loi «sur les péréquations intercommunales» le 28 juin dernier à une très large majorité (opposition uniquement des libéraux) et du même coup un décret «fixant pour les années 2006, 2007, 2008 et 2009 les modalités d’application» de ladite loi (FAQ No 55 du 12 juillet 2005 pp. 3, 5, 7). Comme par hasard, le délai référendaire correspond assez à celui des grandes vacances puisqu’il échoit le 21 août. Il n’y aura sans doute personne pour se lancer dans l’aventure.

Pourtant le peuple vaudois n’a-t-il pas récemment montré qu’il était opposé à tout nouvel impôt, même à une augmentation très modeste de l’impôt forfaitaire payé par les riches étrangers? Oui mais, hélas!, comparaison n’est pas raison. On ne peut en effet pas démontrer que l’application de cette nouvelle loi entraînera une augmentation nécessaire de la charge fiscale, même des bienheureux habitants de la Terre Sainte et d’autres communes de La Côte, quand bien même le risque est sérieux et s’est d’ailleurs déjà réalisé avec Etacom. D’autre part et même si le goût de l’autonomie communale reste vif dans notre Canton, comme l’a montré le récent succès de notre initiative pour le droit de référendum des communes, il ne faut pas perdre de vue qu’outre une majorité de communes rurales végétant dans le bas du classement, d’ailleurs sans aucun démérite mais parce que dans une situation géographique n’attirant quasiment point de contribuables intéressants, Lausanne et son agglomération doivent être les principaux bénéficiaires de cette redistribution. Il apparaît donc sans espoir de remettre en cause un mécanisme censé profiter à une majorité au détriment d’une petite minorité capable de subir une saignée supplémentaire sans risque excessif pour sa santé.

Il vaudra peut-être la peine de revenir sur cette loi, qui d’ailleurs tient en quinze articles (et dix pour le décret, mais il faudra encore des arrêtés). Bornons- nous pour l’instant à constater que, pour la classification de chaque commune sur une échelle de 0 à 20, il faudra désormais prendre en compte trois critères (effort fiscal, capacité financière, population communale) dans des proportions fixées par décret, et que pour déterminer le rendement communal du point d’impôt, il faudra prendre en compte dix impôts communaux. Il est prévu un fonds de «péréquation directe horizontale » devant être intégralement redistribué aux communes selon des clés et un mécanisme très complexes, dont on peut d’ores et déjà prévoir qu’il sera source de nombreux conflits. A ce sujet, l’art. 10 prévoit la constitution d’une commission paritaire aux pouvoirs étendus, consistant non seulement à donner des préavis au Conseil d’Etat sur certains sujets, mais aussi de prendre des décisions. Cela doit normalement, mais la loi passe comme chat sur braise sur ce point, impliquer un droit de recours des communes contre de telles décisions, au Tribunal administratif (art. 29 et 37 de la loi sur la juridiction et la procédure administrative). Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour prévoir un important contentieux auprès du Tribunal administratif, qui croule déjà sous les dossiers et ne parvient pas à rattraper son retard.

A terme, cette nouvelle loi revient, selon l’appréciation clairvoyante du député libéral Nicolas Daïna, interrogé par le journaliste Michel Pont dans 24 heures du 4 juillet, à faire rentrer par la fenêtre le taux communal unique refusé par la votation populaire de 2001, procédé courant des pouvoirs publics qui veulent à tout prix imposer leur volonté à un peuple obtus qui prétend la contrer. Dans ce cas, que va-t-il subsister de l’autonomie communale? Et quelles seront les conséquences pour les contribuables?

Enfin, dernière question qui pourrait être la première: à partir de quand et selon quels critères doit-on admettre qu’il y a «écarts excessifs» entre les communes?

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