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La CEDH et la négation du politique

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2251 19 avril 2024

La Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la Suisse pour inaction climatique parce qu’elle n’a pas établi de «budget carbone»1. Elle a admis le recours de l’Association des Aînées pour le climat, qui dénonce les dangers du réchauffement pour les personnes de leur sexe et de leur génération.

En 2016, l’association avait saisi le DETEC2 en demandant une série de mesures pour réduire d’ici à 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 50%.

Le Département, suivi par le Tribunal administratif fédéral puis le Tribunal fédéral3, avait rejeté la demande. On ne peut, en gros, attaquer en justice que des actes concrets qui émanent d’une autorité, et l’actio popularis, qui autorise n’importe qui à saisir l’autorité au nom de l’intérêt général, n’existe pas en Suisse. Pour le TF, seuls les outils démocratiques, et non pas judiciaires, permettent d’exiger la mise en œuvre de processus politiques.

L’affaire était conçue depuis le début pour ne finir qu’à Strasbourg. N’importe quel avocat sait que l’action populaire n’existe pas et que le TF, en matière d’économie d’énergie par exemple, n’ordonnera pas à la Confédération de «s’assurer que les cantons établissent des normes de pointe pour les bâtiments neufs et les bâtiments existants» 4. C’est pourtant ce qui fut demandé.

Pour nombre d’activistes climatiques, les institutions ne sont qu’un moyen de faire avancer leur cause. Elles n’ont pas de valeurs propres et ne poursuivent pas ces finalités plus générales que sont l’encadrement du pouvoir et l’expression des intérêts qui traversent une communauté.

C’est le militant d’Extinction Rébellion qui veut être acquitté d’avoir bloqué l’autoroute et obtenir, en prime, la condamnation du policier qui l’en a délogé. Je me révolte donc je suis, mais je veux voir mon désir de justice immédiatement assouvi. Je réclame réparation à cet Etat dont je conspue en même temps l’inactivité climatique, et que finance un système économique que j’abhorre. Les Aînées pour le climat n’ont rien fait d’autre en demandant l’impossible au Tribunal fédéral, elles jubilent qu’on leur ait donné tort.

Il s’agit d’une manière de subversion avec la complicité du régime, à tout le moins d’une partie.

Si la CEDH a refusé aux requérantes de se voir personnellement reconnaître la qualité de victimes - elles ne sont tout de même pas des prisonniers que leur géôlier refuserait de nourrir – elle a admis la qualité pour agir de leur association. Pour la Cour, l’évolution des mentalités sur l’engagement de la soi-disant «société civile» dans le débat écologique plaiderait pour une reconnaissance élargie du rôle des organisations.

La CEDH affiche clairement sa volonté de favoriser cet interventionnisme. Son président a autorisé plusieurs «tiers intervenants» à faire part de leurs observations, comme le permet la Convention. Huit gouvernements sont intervenus. Tous ont considéré que si elle entrait en matière sur le fond, la Cour excéderait ses compétences et se mêlerait de politique. En revanche, quinze organisations, du Haut-commissariat aux droits de l’homme à Greenpeace, en passant par des professeurs de Hautes-écoles, notamment suisses, sont à des degrés divers allés dans le sens de la décision que la Cour s’apprêtait à rendre.

Pour la Cour et ces intervenants, en souscrivant à des accords environnementaux qui, comme l’Accord de Paris, leur fixent des objectifs, les Etats accepteraient de voir leur marge de manœuvre réduite. Ils ouvriraient alors la porte à des condamnations pour inaction, lorsque ces inactions violent des droits de l’homme et que des ONG les dénoncent.

La CEDH oublie que lesdits accords, comme l’Accord de Paris, ne prévoient pas ce mécanisme de contrôle. Pour la Cour, l’urgence de la menace couplée «au consensus général selon lequel ce changement est une préoccupation commune de l’humanité», l’autoriserait à surveiller les atteintes aux droits de l’homme suscitées par le non-respect de ces accords.

De sa propre autorité, la Cour a décidé d’étendre son champ de compétence. Elle le fait en accordant à des organisations sans aucune légitimité politique, détachées de toutes les réalités nationales concrètes, une influence déterminante sur la mise en œuvre d’accords internationaux qu’elle n’a pourtant pas pour fonction de surveiller. Le franchissement simultané de ces deux pas – autonomisation de la Cour et délégation du contrôle – est plus grave que de constater de manière technocratique que la Suisse n’a pas de «budget carbone».

Avec cet arrêt, les droits de l’homme se révèlent plus que jamais négateurs du politique et aspirateurs à souveraineté.

Notes:

1   Affaire Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autre c. Suisse, n° 53600/20, arrêt de la Grande Chambre de la CEDH du 9 avril 2024.

2   Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication.

3   Arrêt du Tribunal fédéral ATF 146 I 145, du 5 mai 2020.

4   Ch. 4.c. de la requête de l’Association Verein Klimaseniorinnen, arrêt CEDH n° 53600 p. 16.

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