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Claude Monnier ou le refus de la pensée unique

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2051 19 août 2016

C'était un journaliste d’une grande indépendance d’esprit doublé d’un fin stratège, exigeant, toujours original, parfois paradoxal. Ceux qui ont rendu hommage à Claude Monnier, au lendemain de sa mort survenue le 10 juillet à l’âge de 78 ans, ont beaucoup insisté sur toutes ces qualités, évoquant aussi sa curiosité naturelle, le doute qui l’habitait constamment, sa grande capacité d’écoute, son esprit de contradiction, son refus de la pensée unique.

Cette fine plume était le fils d’Henri Monnier, un horloger originaire de Dombresson devenu missionnaire pour l’Eglise adventiste du septième jour au Rwanda, et d’Olga Pavlova, une Russe originaire de Saint-Pétersbourg, qui avait été infirmière à la Clinique La Lignière, à Gland. Orphelin de père à l’âge de deux ans, il passe son enfance à Yverdon, puis à Lausanne, où il fréquente l’école primaire de Florimont. Avec des camarades du chemin du Trabandan, Claude Monnier constitue ce qu’il appelle «l’armée Légion» pour tenir tête à la bande du fils du laitier de Bonne-Espérance. Ladite armée comprend trois «colonels» – dont l’un, Pierre Brenzikofer, le deviendra effectivement – et un Service complémentaire féminin composé de plusieurs filles du quartier. Le «colonel» Eric Rutgers est chargé de la technique et des communications, alors que Claude Monnier dirige l’état-major et va jusqu’à dactylographier des bulletins de qualifications. Des fils sont tendus entre les immeubles, un vieux transformateur reprend du service et l’on échange de très confidentiels messages en morse, appris chez les scouts. Voilà comment, à huit ou neuf ans, naît une vocation de journaliste! Ce surdoué fréquente ensuite le Collège classique de Béthusy, puis le Gymnase de la Cité.

Son bac latin-grec en poche, il entreprend un tour du monde en vélo. Sa mère lui donne son feu vert à la condition expresse qu’il poursuive ses études dès son retour. Avec un compagnon de voyage, Jacques Mauel, futur biologiste, il met le cap sur l’Inde, mais doit, à Calcutta, vendre sa bécane et poursuivre sa route avec d’autres moyens de locomotion. Le globe-trotter confie ses premières impressions de voyage à la Gazette, à la Feuille d’Avis de Lausanne et à la Semaine de la Femme. La suite est bien connue: Monnier traverse le Mexique en auto-stop, s’y marie, rentre en Suisse pour entreprendre des études de sciences politiques à l’Institut des Hautes Etudes Internationales, qu’il complète à Mexico et à Tokyo. Sa thèse de doctorat, une étude du conflit culturel à l’origine de la Constitution japonaise, a pour titre Les Américains et Sa Majesté l’Empereur. Après deux ans d’enseignement à HEI, le voilà rédacteur de politique étrangère au Journal de Genève, puis chef du service étranger de ce quotidien et enfin rédacteur en chef (1970-1980). Démissionnaire en raison de désaccords avec son conseil d’administration, il lance et dirige le Temps stratégique, collaborant aussi en qualité de chroniqueur aux quatre plus grands quotidiens de Suisse romande.

En même temps que le quotidien genevois d’audience internationale, Claude Monnier dirige à distance la Gazette de Lausanne après la signature, en 1975, du contrat d’affermage entre les deux journaux. La rédaction de Lausanne, dirigée par Philippe Barraud, est alors condamnée à vivre sous un régime de liberté étroitement surveillée. Claude Monnier s’emploie à rendre le joug de Piogre le moins oppressant possible, sans toujours y parvenir. Après bien des efforts, Philippe Barraud parvient à récupérer la rédaction de la page une du samedi à Lausanne. Mais la fusion pure et simple des deux titres point à l’horizon et, en 1998, ce sera le naufrage du Journal de Genève et Gazette de Lausanne que ses actionnaires ont laissé tomber.

Avec son regard malicieux hérité de sa mère russe, son humour sarcastique qui tournait souvent à la moquerie, ce moraliste désenchanté et adversaire de toutes les idéologies avait le goût du paradoxe. Il assurait que le pire ennemi de la Suisse était de ne pas en avoir: être l’objet de menaces précises aidait, disait-il, à se «secouer les puces»; et il répétait volontiers que plus un journal affirme sa ligne politique, plus il peut s’ouvrir aux opinions contraires. Capter l’essentiel d’un événement, l’analyser dans une perspective historique – en amont – et en imaginer les conséquences – en aval – était l’un de ses exercices préférés. Partisan résolu d’«une confrontation tendue des idées», il revendiquait le droit de discuter publiquement et contradictoirement de sujets ultrasensibles. Cette liberté d’esprit lui valut des lettres de lecteurs courroucés et quelques solides inimitiés. Tous ceux qui ont eu le privilège de travailler avec lui conserveront le souvenir d’un journaliste qui a honoré sa profession.

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