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L’adaptation heureuse

Jacques Perrin
La Nation n° 2072 9 juin 2017

Les élèves vaudois apprennent ce qu’est un champ lexical, ensemble de mots qui permettent de traiter d’un thème précis: la nature, le sport, la politique, etc.

Quand nous parcourons le mensuel Réformés et étudions les documents fournis par le Conseil synodal, nous nous amusons à constituer des champs lexicaux. En voici les principaux selon une échelle menant de l’anecdotique à l’essentiel.

Premier échelon, l’informatique: les réseaux, des formats, se connecter, être déconnecté.

Deuxième échelon, les mots anglais et les anglicismes: lab church, fresh expression of church, kids culte, rhythm’n culte, faire sens (to make sense).

Troisième échelon, le mouvement: évoluer, une mutation profonde, une mobilisation, un changement de posture, le changement constant, une dynamique nouvelle, des projets novateurs.

Quatrième échelon, le développement personnel: la spiritualité, les animateurs, impliquer, des attentes spirituelles, des moments méditatifs, lâcher prise, trouver ce qui me correspond, le rapport au corps, les besoins des gens, la créativité, le taï-chi, les soirées clowns.

Cinquième échelon, la sociologie: les chercheurs, les acteurs, la méthodologie, la recherche-action, créer du lien, l’émergence d’activités plurielles, la société civile, la société liquide, les séquences, une logique de… , les actions citoyennes, les défis, les enjeux, les modèles de convivance, le vivre-ensemble.

Sixième échelon, le commerce et le management: des gammes de besoins, une stratégie marketing, diversifier l’offre, des produits adaptés, un public cible, le secteur recherche et développement, l’économie mixte, réadapter l’offre ecclésiale, gérer la flexibilité, travailler en équipe, avoir une vision, motiver.

Observons que ces champs lexicaux infestent d’autres domaines, la pédagogie par exemple, depuis des décennies. Il s’agit d’une mode ringarde.

Résumons la situation: l’Eglise vaudoise se croit en perdition. Les sociologues lui disent qu’elle ne rassemble que des vieux (les têtes blanches), que les jeunes la fuient, que les adultes se distancient, qu’elle n’est pas en phase avec le monde tel qu’il bouge. Les responsables en concluent que l’Eglise doit évoluer avec son temps et s’adapter à on ne sait quoi, prendre le train en marche vers on ne sait où, apprendre à nager dans tous les genres de liquides. Elle doit renouveler son offre sur la base d’un projet visionnaire, gagner des parts de marché en répondant aux besoins des gens, quitte à causer un peu anglais, se connecter, s’ouvrir à l’écologie, au féminisme et aux revendications LGBT. Le renouvellement sera bien entendu fondé sur la recherche scientifique la plus récente et validé par l’Université, garante du sérieux de la démarche.

Les responsables de l’Eglise se disent attristés du peu d’aura de celle-ci. Il est mal d’entretenir des soupçons, mais nous croyons deviner que l’effondrement prétendu des structures paroissiales en séduit certains, engendrant chez eux une sorte de jubilation (autre mot à la mode) quand ils adoptent une posture nouvelle. Ils en avaient envie depuis longtemps. On a affaire à une adaptation heureuse, comme on parle de «mondialisation heureuse».

Les chefs prétendent s’inspirer du sociologue Zygmunt Baumann. Or celui-ci décrit la société liquide d’un point de vue critique. Même dans les extraits proposés par le Conseil synodal, Baumann nous met en garde devant la précarité d’un monde où il n’est pas recommandé de tenir ses promesses. On s’y engage sur un coup de tête, jusqu’à nouvel ordre, tant qu’une occasion de jouissance ne remet pas en question l’engagement pris. La société liquide est individualiste, les communautés et les liens y sont toujours sur le point de se défaire. Baumann montre qu’exiger une relation sûre tout en voulant demeurer libre de la rompre à tout instant, c’est demander l’impossible.

La société liquide contraste avec la consistance de l’Evangile.

Dans le rapport du Conseil synodal et Réformés, nous trouvons des passages donnant à penser que certains responsables de l’Eglise ont choisi de s’immerger dans la société liquide dont ils admirent l’individualisme libertaire. Il faut faire avec les distancés, définir avec eux ce qui pourrait les satisfaire sans obligation de continuité. Le rapport Enfance, Jeunesse et Evangile répond à la demande de liens qui se nouent et se dénouent aisément, il faut entrer en résonnance avec les valeurs, les modes de vie, la spiritualité, les besoins des familles contemporaines (recomposées, monoparentales, LGBT, réd.). Ce n’est pas parce qu’on ne reste pas assis sur les bancs de l’église qu’on n’est pas engagé. Le bouleversement religieux remet en cause la paroisse traditionnelle avec son clocher, ses pasteurs et ses fidèles. Ce modèle ancien cède le pas à une Eglise dynamique et interactive. Toutes les initiatives visant à sortir d’une forme figée sont des aiguillons, des avant-gardes d’une réalité bien plus large […], des avant-postes d’une évolution de l’Eglise dans son ensemble. Le christianisme doit absolument se repenser pour se transmettre. Il ne peut s’isoler des autres religions. Le pasteur Line Dépraz écrit: La société évolue à toute vitesse. Et les Eglises peinent à suivre […] Soyons créatifs et à l’écoute. Soyons prêts à vibrer avec ce qui frémit hors de nos murs. Quant à Laurence Bohnenblust-Pidoux, spécialisée dans la pastorale pour les enfants et les jeunes, elle déclare dans 24 heures: Etre en accord avec son temps était le but de la Réforme. Luther a fait correspondre les textes et la religion à l’époque. C’est ce que nous voulons faire aujourd’hui. On trouve aussi ce genre de projet catéchétique: A la Grâce, la foi ou encore la résurrection, on préfère un vocabulaire actualisé pour faire mouche auprès du jeune public et le pousser à réfléchir au monde qu’il désire construire.

Toutes ces déclarations font écho à ce que la presse répète à tout propos. Il faut s’adapter, et dans la joie, s’il vous plaît. Les partisans de l’adaptation (un Emmanuel Macron par exemple) sont manifestement heureux tandis que ceux qui éprouvent des résistances intérieures n’ont qu’à se taire et s’effacer. Mme Ariane Dayer écrit dans le Matin Dimanche: Emmanuel Macron n’agace pas parce qu’il dort moins que nous, mais parce qu’il est mieux adapté. Et Thierry Meyer dans 24 heures parle ainsi de l’école en Suisse allemande: Ce ne sont pas les élèves qui sont surchargés, mais les enseignants et le système qui ont du mal à s’adapter à des besoins évolutifs.

Nos soupçons ne sont-ils pas étayés? Quelques chefs ecclésiastiques donnent l’impression de vouloir renoncer aux paroisses pour approuver les bouleversements de l’époque.

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