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† Pierre Ramelet

Alexandre Bonnard
La Nation n° 2100 6 juillet 2018

Très grand avocat et bâtonnier1, pur Vaudois, réunissant une rare combinaison de qualités professionnelles et personnelles, Me Pierre Ramelet nous a quittés moins de deux mois avant d’atteindre son centenaire. Nombreux sont encore à plaindre ceux qui n’ont pas eu la chance de le connaître. Nombreux aussi ceux qui chérissent sa mémoire.

Né sous une bonne étoile, Me Ramelet réunissait en effet des dons précieux pour ses amis, confrères, maîtres de stage, compagnons de chasse. Ici ou là, des piques, des petites rosseries, mais toujours emballées dans une amabilité souriante. Il semblait que même sur les bancs les plus à gauche du Grand Conseil, il ne pouvait pas avoir d’ennemis.

Si d’aventure, sortant de l’Abbaye de l’Arc réjoui d’avoir réussi une belle cible, il nous croisait, timides et fervents étudiants nous hâtant vers la réunion du mercredi soir (qui était alors un jeudi): «Ah! Vous allez au complot! Faites bien attention, il est dangereux, il est très dangereux!», nous disait avec un faux sérieux imparable ce libéral, cet individualiste intégral, mais fervent et scrupuleux lecteur de La Nation.

Et pourtant, et pourtant, quelle grande estime réciproque entre M. Regamey et lui, allant jusqu’à l’amitié.

Il y a plus ou moins un demi-siècle, un grand conflit, d’une envergure évoquant celles du iota ou des investitures, déchirait le barreau vaudois: celle du port ou du non-port de la robe. On n’a pas de peine à deviner dans quel camp militaient MM. (ne disons pas Maîtres) Regamey et Ramelet. Un argument décisif dans le débat, c’était celui-ci, du premier: «Quel est l’archétype de l’avocat vaudois? Maître Ramelet évidemment. Pouvez-vous l’imaginer plaidant en robe?» Cela portait!

Soit dit entre parenthèses (car Me Ramelet, autant que l’on sache, n’a pas été mêlé à ces querelles vestimentaires de niveau très moyen, même comme bâtonnier), le litige a trouvé son compromis vaudois en ce sens que: porte la robe qui veut, sauf si, à l’audience, le conseil adverse ne la porte pas, par goût ou principe. Donc le robeux (réjoui à l’idée de n’avoir que le short dessous par temps caniculaire) doit préalablement téléphoner au confrère, s’il n’est pas renseigné. Robeux ou non? Si tel distrait ou provocateur passe outre et vient enrobé, ce sont les amers reproches, la plainte au Conseil de l’Ordre, le blâme moyennement sévère malgré les excuses. Mais imaginez ce robeux arrivant au Palais, se trouvant nez à nez avec Me Regamey ou Me Ramelet simplement en noir et balbutier qu’il ne savait pas, qu’il a oublié de téléphoner, etc.?

Il se peut maintenant que cette jurisprudence soit obsolète avec la féminisation progressive du Barreau…

Mais bien au-dessus de ces querelles de garde-robe, noble, il y a la chasse, passionnément pratiquée de génération en génération, chez les Ramelet, la chasse au chien d’arrêt, les récits épiques du lendemain à l’Étude, bien entendu en présence du chien dont tous, associés, stagiaires, secrétaires, connaissent les exploits (ou les fautes impardonnables) et les particularités de caractère.

Et puis il y a le ski de fond, la Coupe du Bâtonnier, qu’il a créée, dont la réputation a franchi les frontières cantonales (ah! ces Genevois! …) et dont le «patron», année après année, étudie savamment le règlement, suggérant sa révision de manière à ce que les handicaps tiennent compte de sa situation personnelle.

Mais, pardonnez, encore là-dessus, il y a l’art. Et là, notre cher et vénéré maître nous a éblouis par la passion qu’il a mise, des années durant, à étudier l’énigme, le mystère des peintures murales de l’église de son cher Montcherand, après des années de recherches, comprenant les visites de maintes fresques romanes d’églises dans le sud de la France, la Catalogne, l’Italie. Il a dû entrer dans les «controverses enflammées» des spécialistes et des restaurateurs. La question est: qui est, au centre de la fresque, entouré d’apôtres, ce personnage sans tête? Pour les simplistes la tentation serait forte de dire: c’est la Vierge, entourée de six apôtres de chaque côté. Mais non, disent les spécialistes et les auteurs successifs des restaurations (jamais vraiment terminées). Il en est résulté une première étude publiée en 1986, tiré à part de la Revue historique vaudoise de 1984 (une cinquantaine de pages, se lisant comme un roman… sauf que l’on n’a pas la solution et que selon l’auteur, tant dans cet ouvrage que dans un article complémentaire publié en 1994 dans la même revue, l’énigme demeure…). Mais il est admirable qu’un grand avocat d’affaires, outre tant d’autres activités non consacrées au droit, en ait consacré autant à une recherche historico-artistique s’étendant sur des années. Pour cela non plus, nous ne l’oublierons pas.

Notes:

1  Voir la belle photo en couleur dans l’Encyclopédie Vaudoise, vol. 5, p. 121.

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