Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Le régent académique?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2106 28 septembre 2018

Les régentes et les régents d’antan avaient le plus souvent passé par une solide prim’sup; à l’École normale, ils approfondissaient leurs connaissances générales, s’exerçaient à la gymnastique, chantaient sous la conduite d’éminents chefs, se mettaient au violon – puisqu’ils étaient destinés à enseigner le sport et la musique comme l’arithmétique et la géographie; ils acquéraient en outre un certain bagage de psychologie et de pédagogie, tout en s’essayant au métier dans les «classes d’application». Ils n’étaient pas des savants, ni des virtuoses, ni des champions aux agrès, sauf exceptions. Mais ils étaient instruits et savaient tenir une classe.

C’était trop élémentaire dans l’esprit des Temps Nouveaux. On a donc exigé d’eux qu’ils aient suivi le gymnase (dont la durée avait été prolongée de deux à trois ans, on n’apprend jamais assez longtemps aux yeux des pédants), avant de se concentrer sur la formation pédagogique pendant deux ans, puis trois (on n’apprend jamais assez longtemps aux yeux des pédants). L’établissement où ils apprenaient comment apprendre à autrui était désormais nommé Haute Ecole Pédagogique (en même temps que les technicums étaient devenus des Hautes Ecoles Spécialisées et le Conservatoire, dont chacun connaissait la mission sous son nom traditionnel, une Haute Ecole de Musique – si bien que l’adolescent progressant vers la virtuosité fréquente aujourd’hui l’Achému. Chacun doit bénéficier d’une Haute Formation pour devenir Hautement calé).

La Haute Ecole Pédagogique (HEP) dispense un titre du niveau du bachelor (mot étrange relevant d’on ne sait quel sabir). Le bachelor, dans la terminologie académique actuelle, précède le master (qu’on francise parfois en mastère pour compléter le dictionnaire des néologismes diafoirusiens), grades définis un jour à Bologne par des émissaires des pays européens nantis de pouvoirs de représentation énigmatiques – en tous cas pour ce qui concerne la Confédération helvétique – mais efficaces puisque leur vocabulaire s’est imposé. La licence passa aux oubliettes; le bachelor, obtenu après trois ans de Hautes Etudes dans la théorie de  départ, mais souvent après quatre ans (on n’apprend jamais assez longtemps aux yeux des pédants), est un peu moindre que l’ancienne licence, mais doit suffire à entrer dans de nombreuses carrières; le master/mastère est un peu supérieur à l’ancienne licence et on l’obtient après quatre ans de Hautes Etudes, disait-on au début, mais c’est plutôt cinq (on n’apprend jamais assez longtemps, etc.).

Mais revenons à nos régentes et régents. Leur bachelor de la HEP paraît bien humble à leur syndicat principal, la Société pédagogique vaudoise (SPV), qui propose de «revaloriser» le métier par l’exigence du master/mastère. La SPV motive sa revendication par la complication de l’«école inclusive» (qui place dans les classes «normales» des élèves à problèmes) et par les nouvelles «problématiques socio-éducatives». Mais, de la part d’un syndicat, le mot de «revalorisation» a aussi une tonalité plus sonnante et trébuchante. Le maître primaire gagne 13’000 à 30’000 francs annuels (selon l’âge) de moins que son collègue de formation universitaire, qui a étudié plus longtemps, tout en enseignant trois heures de plus. Il s’impose de niveler – par le Haut des Hautes Ecoles, bien sûr, et l’on parle là d’une hauteur toute matérielle.

Les professions de l’éducation publique sont de redoutables groupes de pression; on l’a vu à propos des velléités d’un organe intercommunal de diminuer quelque peu, dans les crèches et garderies, la proportion d’éducatrices Hautement titrées: quel hourvari dans le courrier des lecteurs! Mais pour la SPV, la partie n’est pas gagnée. Car Mme Amarelle a dit que, certes, elle n’était «pas complètement opposée» à une évolution qui est à la mode ailleurs en Europe; mais, se réfugiant courageusement derrière une décision récente négative de la Conférence romande des chefs cantonaux de l’instruction publique, elle ajoute que ce n’est pas le moment.

Ecole inclusive ou non, tendances socio-éducatives nouvelles ou bla-bla dans l’air du temps: quoi qu’il en soit, le métier de maîtresse et de maître primaire (qu’on doit appeler enseignant généraliste) n’appelle pas des connaissances scientifiques plus poussées, mais demande surtout des qualités personnelles qui ne s’acquièrent guère sur les bancs d’une Haute Ecole et tiennent au tempérament de l’intéressé tout en se fortifiant avec l’expérience professionnelle: autorité «ferme mais bienveillante», goût de la communication, talent de meneur, joie de transmettre et de former, conviction qu’on apporte à l’élève un bagage de valeur, droiture morale qui oriente et rassure la classe. Ose-t-on ajouter qu’il est bien d’aimer les enfants? De même que la médecine tend à s’intéresser aux maladies plus qu’aux malades, on peut craindre que l’école n’en vienne à s’intéresser aux techniques socio-psychologiques davantage qu’aux enfants.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: