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Qu’est-ce que le nihilisme?

Jacques Perrin
La Nation n° 2119 29 mars 2019

Nihilisme est un mot savant peu utilisé. On le trouve parfois associé aux djihadistes, par exemple dans cette phrase de l’écrivain Denis Tillinac: Tel est le projet des djihadistes : nous dénuder spirituellement jusqu’à ce que nous les rejoignions dans le nihilisme. Alors ils nous auraient vaincus.

Nous nous attarderons cependant sur les termes nihilisme et nihiliste, car ils saisissent adéquatement notre temps. L’Occident s’est engagé depuis deux siècles et demi sur une pente nihiliste, il est attiré par le vide. Il n’est pas aisé de comprendre comment et pourquoi. Des penseurs de grande envergure (Dostoïevski, Nietzsche, Heidegger, Ernst Jünger, Camus) se sont penchés sur ces questions.

Définissons le mot et observons à quels phénomènes il renvoie.

Nihilisme est formé du suffixe –isme qui renvoie à maintes doctrines politiques ou constructions intellectuelles, comme le fascisme, le communisme, le pluralisme, le scientisme, etc. Ce suffixe est souvent péjoratif, désignant des idéologies qui rendent mal justice au réel.

En latin, nihil signifie «rien». Ce mot lui-même est formé du préfixe ne- (non, pas de) et de hilum, «petit point noir au bout des fèves». Dans le domaine de la botanique, le hile est le point d’attache par où la graine adhère au funicule et en reçoit les sucs nourriciers; c’est aussi la cicatrice laissée sur le tégument de la graine après la rupture du funicule (le hile du haricot, du petit pois). En anatomie, c’est la région de la surface d’un organe, souvent déprimée, par où pénètrent les vaisseaux sanguins et les nerfs (le hile du rein, du foie, du poumon). A l’endroit du hile circule ce qui est nécessaire à la vie d’une plante ou d’un organe.

Chez saint Augustin, le mot nihilisti nomme ceux qui ne croient et n’enseignent rien. Au XIIe siècle, les nichiliastes admettent seulement la nature divine du Christ et nient que celui-ci se soit fait homme. Il n’y a plus de passerelle entre l’homme et Dieu. En 1177, cette hérésie qui répudie l’Incarnation fut condamnée par le pape Alexandre III.

Nihilisme, qui apparaît en français vers 1760, contient l’idée de néant. Les nihilistes «font» le vide ou s’y jettent, rompant avec le réel et le corps concrets. Ils tuent et se tuent parfois, comme les nihilistes russes du XIXe ou les djihadistes d’aujourd’hui.

Le nihilisme est une figure du mal. Dans Journal d’un curé de campagne, Bernanos dit que le mal est comme une énorme aspiration du vide, du néant. La tragédie grecque laisse parfois entendre qu’il aurait mieux valu ne pas naître; ainsi le chœur des vieillards dans œdipe à Colonne de Sophocle: Ne pas naître, voilà ce qui vaut mieux que tout. Ou encore, arrivé au jour, retourner d’où l’on vient, au plus vite, c’est le sort à mettre aussitôt après. Dès l’heure en effet où le premier âge cesse de te prêter sa douce inconscience, est–il désormais une peine qui ne t’atteigne pas ? Est-il une souffrance qui manque à ton compte ?

Les discussions autour du nihilisme prennent un tour périlleux. Le langage nous donne l’illusion que le rien est quelque chose; certains mystiques assimilent même la réalité suprême, Dieu, au néant. Nous ne pouvons pas nous dispenser des mots rien, néant, vide, vanité, vacuité pour décrire l’attitude des nihilistes, mais il est probable que ceux-ci cherchent moins à rejoindre le néant qu’à échapper au monde tel qu’il est. Les suicidaires sont encore portés par l’espérance.

Le nihilisme retient notre attention en tant que disposition de l’âme à déposer une bonne fois le fardeau de l’existence. Les nihilistes passifs n’aiment pas la condition humaine. Ils balancent entre l’angoisse et l’ennui. Ils ont peur de la lutte pour la vie. La crainte de souffrir et de mourir les paralyse. A quoi bon ? se plaignent-ils, nous n’avons pas demandé à naître ; nous redeviendrons cendre et poudre. Il n’y a pas de dieu dans le ciel, notre vie n’a pas de sens, nos souffrances ne servent à rien, tout nous est égal.

Le nihiliste, pessimiste fatigué, fuit la cruauté de l’existence. Il se donne parfois la mort. Ou bien il proteste, s’en prend à son corps, se scarifie, cesse de manger (anorexie) ou mange à en crever (boulimie). Il s’abîme dans les paradis artificiels de l’alcool ou de la drogue. En proie à d’innombrables addictions, au sexe sans amour, au jeu ou aux voyages sans but, il cherche les états de plaisir où il s’anéantit à petit feu.

De peur de ne rien obtenir, un type de nihiliste cesse de désirer quoi que ce soit, atteignant parfois l’absence de troubles intérieurs par des pratiques ascétiques, comme les bouddhistes.

C’est le propre des nihilistes de rêver d’un monde meilleur. Certains d’entre eux, plus actifs, ne se contentent pas de chimères et d’idoles; ils refusent tout héritage, se démènent pour créer le paradis sur terre, commençant par faire table rase du passé pour ensuite reconstruire le monde selon de justes principes d’égalité et de pureté. Communistes, nazis, véganes anti-spécistes, féministes enragées, écologistes radicaux et terroristes sont de cette trempe. Quant aux posthumanistes, ils reconfigurent l’univers selon les «avancées» de la science et de la technique, cherchant à se débarrasser du corps vivant et de l’homme mortel réduit à un cerveau artificiel. Parfois, les utopies s’effondrent en peu de temps car leurs partisans, nazis ou communistes par exemple, s’entre-massacrent, ne se trouvant jamais assez purs, racialement ou socialement. Le nihilisme est un cercle vicieux.

Le nihilisme prend de nos jours deux formes apparemment opposées: décadence occidentale, douce et athée d’un côté, terrorisme barbare d’inspiration islamique de l’autre.

La maladie nihiliste occidentale est plus dangereuse, car moins spectaculaire. A cause de la dénatalité, du goût du suicide assisté, du démembrement de la famille, de l’égalitarisme niveleur et de la destruction de l’environnement naturel, nos nations s’éteignent dans une fébrilité euphorique, presque à leur insu.

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