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Les trois failles structurelles du régime des partis

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2119 29 mars 2019

La Ligue vaudoise, fondée il y a quatre générations dans le but de réfléchir, d’écrire et d’agir dans la perspective du bien commun vaudois – et, par ricochet, de l’indépendance fédérale –, n’est pas constituée en parti. Elle prend position lors des votations, mais ne participe pas aux luttes électorales. Il lui arrive de lancer un référendum ou une initiative, mais elle ne recommande jamais tel ou tel candidat.

On nous objectera qu’il n’est pas possible de faire de la politique en marge du régime et en critiquant les principes qui l’animent. N’est-ce pas, en effet, se condamner à n’exercer, dans le meilleur des cas, qu’une influence minime? La Ligue ne ferait-elle pas mieux d’opter pour un parti dont les fondamentaux ne seraient pas trop éloignés des siens, d’y entrer et d’utiliser sa dynamique pour faire passer les idées qui lui sont chères? Ou alors fonder son propre parti, dont elle pourrait garantir durablement la rigueur doctrinale tout en profitant des élections pour accéder au pouvoir?

Si nous ne l’avons jamais fait, c’est principalement pour des motifs qui tiennent à la mécanique même du système partisan. En effet, indépendamment des compétences et de la bonne volonté de ses cadres et de ses membres, indépendamment de son idéologie et de sa situation par rapport au pouvoir, tout parti souffre de trois failles structurelles qui l’empêchent de se vouer prioritairement à la recherche du bien commun.

La première faille est que la multiplicité des partis engendre mécaniquement la division du pays. Chacun d’eux prétend représenter l’intérêt général et considère les autres comme des adversaires, parfois des ennemis. Cette division affaiblit le pays, dans son fonctionnement interne et face aux Etats voisins.

L’unité du pays étant un souci constant de la Ligue vaudoise, et d’ailleurs une expression essentielle du bien commun, il serait particulièrement contradictoire, pour ne pas dire oxymorique, qu’elle crée un «Parti d’union vaudoise», suscitant ainsi, sous prétexte d’unité, une division supplémentaire dans le pays.

La deuxième faille du régime électoral est que, puisqu’il y a un pays et plusieurs partis, il n’y a pas une, mais deux finalités politiques, qui se font concurrence dans le cœur du militant: le bien du pays et le bien du parti. Quoi que ce militant ait en tête, le caractère constamment immédiat du souci électoral le contraint à s’occuper du parti en priorité, pour ne pas dire en exclusivité. Le bien commun, c’est toujours pour plus tard, quand on sera assuré de l’avenir et qu’on aura le temps d’aller au fond des choses. On en prend l’habitude et, peu à peu, le bien commun est relégué tout au fond de l’armoire aux mythes. Comme le souci du pays demeure malgré tout, au moins comme une léger remord, le militant calme sa conscience en identifiant le bien commun du pays aux succès électoraux de son parti. Cette vision partielle et boiteuse touche tous les militants, même les meilleurs.

La Ligue vaudoise répugne à appliquer l’essentiel de son énergie à des manœuvres – stratégie et tactique, slogans, communication – dans le but d’assurer le succès des prochaines élections. Nous voulons être indépendants des urnes pour nous soumettre librement aux seules exigences du bien commun.

Il arrive certes que le bien du pays et celui du parti se confondent, et c’est tant mieux. Cela a permis à la Ligue vaudoise de collaborer avec l’un ou l’autre parti, parfois très éloigné en doctrine, lorsqu’une convergence occasionnelle se manifestait. Ce type de collaboration est sans équivoque, étant lié à une situation concrète. On ne saurait aller au-delà et passer à une collaboration organique régulière, ce qui reviendrait à soutenir tel parti au détriment des autres, mais aussi à entrer dans un jeu que nous ne maîtrisons pas.

La troisième faille est une question de tempo. En bonne politique, chaque modification de la situation du pays, qu’il s’agisse d’une nouvelle loi importante, d’un arrivage migratoire ou d’une batterie d’innovations techniques, devrait être introduite assez lentement pour que le peuple dans son ensemble puisse la digérer et la faire sienne. Or, une communauté est infiniment plus complexe et lourde à remuer qu’un simple individu. Son rythme d’assimilation est plus lent en proportion. Si l’on admet que l’unité de mesure du temps politique est la génération et que celui des partis est la législature, cela signifie que le pays réel vit quatre ou cinq fois plus lentement que le régime.

Cette contradiction temporelle permanente casse le rapport que le politicien entretient avec son pays. Il n’a pas assez de temps: trois législatures, ça fait quinze ans, beaucoup pour ceux qui attendent leur tour, très peu d’un point de vue politique. Il est contraint de voir trop court et d’agir trop vite. Dès lors, le pays est gouverné selon un rythme qui n’est pas le sien, comme un coureur de fond qui serait perpétuellement condamné au sprint.

N’ayant pas le temps de faire la synthèse entre ce qui existe et ce qui vient, le politicien tend à privilégier ce qui vient. Mais le passé subsiste tout de même, dans les mentalités, dans les usages, dans les institutions. Aussi, le désordre politique et social règne, entre un passé qui ne veut pas mourir et un futur qui s’impatiente.

Division artificielle du pays entre des groupes ennemis, action politique détournée du souci premier du bien commun, dévalorisation de ce qui est au nom de ce qui vient, ces trois failles en entraînent d’autres, entre les générations, entre les détenteurs du pouvoir, à l’intérieur même de chaque parti, sous forme de factions et de chapelles. La Ligue vaudoise ne veut pas contribuer à tout cela en participant, si peu que ce soit, au régime des partis.

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