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Sans cesse plus étroite

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2285 15 août 2025

«Une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens», voilà le tout premier des six objectifs énumérés par le préambule du Traité de Rome du 25 mars 1957 qui instituait la Communauté économique européenne. Pour les uns, il s’agissait de resserrer les liens entre les Etats pour rendre impossible une nouvelle guerre intra-européenne. Pour d’autres, c’était l’amorce d’une politique de puissance face aux Etats-Unis et à la Russie. Ce qui est sûr, c’est que la formule «sans cesse plus étroite», jamais remise en cause, reprise d’ailleurs dans le Traité de Maastricht, déclencha un mécanisme autonome et sans fin d’unification. On commençait par l’économique, mais tout ce qui constituait les «peuples européens» était voué à y passer, le monétaire, le fiscal, le judiciaire, le social, le politique, le militaire.

C’est dans cette perspective fondamentalement évolutive qu’il faut aborder chaque négociation et chaque accord avec l’Union européenne: chaque négociation et chaque accord n’est qu’une étape vers encore plus de centralisation et encore plus d’unification. Il peut y avoir des blocages temporaires, comme avec l’échec de la Constitution européenne, refusée en référendum en 2005 par la France et les Pays-Bas. Deux ans plus tard, le traité de Lisbonne en reprenait tout l’essentiel et passait en force, en évitant les incertitudes du référendum. Car le mécanisme ne cède jamais. Et jamais il ne revient en arrière. C’est «l’effet de cliquet».

Le système du traité sur l’«Espace économique européen» prévoyait que la Suisse reprenne une partie du droit européen. Le problème était que cette reprise incorporait aussi les modifications ultérieures de ce droit, sur lesquelles nous n’avions aucune prise. On appelait cette procédure «droit évolutif». Du point de vue du premier principe énoncé par le Traité de Rome comme de la cohérence du droit européen, cette exigence était compréhensible. Mais y souscrire, c’était sacrifier la souveraineté de la Confédération.

Le peuple suisse refusa d’entrer dans ce jeu piégé. Les psychodrames qui accompagnèrent et suivirent la campagne de vote révélèrent qu’une bonne part de nos autorités était convaincue que la Suisse avait pour destin d’adhérer à l’Union européenne.

Avec les sept accords bilatéraux votés en 1999, traités stables et dénonçables en bloc, aux contours clairement délimités, on en revenait apparemment à une politique étrangère classique. Sectoriels, ils portaient sur la libre circulation des personnes, les échanges commerciaux, les marchés publics, l’agriculture, la recherche, les transports terrestres et les transports aériens. Les «bilatérales II», votées en 2004, portaient sur la fiscalité, la contrebande, mais aussi sur l’environnement, l’éducation, les médias, la formation professionnelle, ainsi que sur l’espace Schengen.

Ces accords prétendument stables connurent une extension continuelle et servirent de base à plus de cent accords plus ou moins importants. Sous la stabilité bilatérale, et avec le plein accord de nos autorités, progressait donc une intégration continue et discrète de la Suisse à l’Union.

Puis la Suisse demanda de nouveaux accords bilatéraux, notamment sur l’électricité. L’Union européenne, peu enthousiaste, y vit néanmoins l’occasion de reprendre la main. Elle subordonna son acceptation à la signature d’un «accord institutionnel» ou «accord-cadre», officiellement pour assurer l’homogénéité dans l’interprétation et l’application des accords bilatéraux, anciens et nouveaux.

Cette exigence frontale dissipait l’illusion de stabilité et réintégrait explicitement les accords bilatéraux dans le mouvement général. Le droit évolutif réapparaissait, sous l’appellation de «reprise dynamique du droit».

L’accord-cadre souleva trop d’oppositions, notamment en ce qui concernait les directives sur la citoyenneté européenne et sur la protection des salaires. Le Conseil fédéral abandonna les négociations en mai 2021. Puis il les reprit en mars 2024, car le mouvement unificateur ne connaît pas de repos. Elles aboutirent en décembre dernier. Les textes complets en sont publics, mille huit cents pages qui feront ces prochains mois l’objet d’intenses études et confrontations.

Il faudra juger l’accord pour lui-même, avec ses qualités et ses défauts. Mais il faudra aussi le juger du point de vue de la perte sèche et définitive de souveraineté qu’il représente pour la Suisse, et en se rappelant qu’il n’est qu’une étape – en en attendant d’autres – de la marche obstinée de la grande administration européenne vers «une union sans cesse plus étroite».

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