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L’enseignement explicite pour tous

David Rouzeau
La Nation n° 2128 2 août 2019

Stevan Miljevic est un enseignant de mathématiques valaisan avec une longue expérience du métier. Son essai, paru ce printemps, L’école à la croisée des chemins, établit un bon panorama des diverses problématiques scolaires actuelles et propose une conception de l’enseignement qui, selon lui, fonctionne. Il y présente l’opposition principale qui traverse, depuis une cinquantaine d’années, le champ pédagogique entre, d’une part, les traditionalistes, tenants d’une école de la transmission des savoirs, et, d’autre part, les pédagogistes, défenseurs des théories dites «constructivistes» ou encore «actives» (pédagogie de la découverte, du projet, l’enfant au centre, priorité mise sur les compétences, etc.). Toute son analyse est précise et démontre une connaissance fine de ces questions. Il renvoie dos à dos ces deux approches rivales et voit dans l’enseignement explicite la bonne solution pour enseigner.

L’enseignement explicite est une théorie pédagogique développée dans le domaine francophone par les Québécois Gauthier et Bissonnette. Il s’agit d’une pédagogie transmissive. Le maître a des connaissances et des compétences que l’élève n’a pas. L’enseignant va les lui transmettre et l’élève va les apprendre. La première phase est le modelage. Le maître explique la théorie ou la règle en donnant beaucoup d’exemples (le cerveau fonctionne par analogies). Il explicite les raisonnements en jeu. La seconde étape est la pratique dirigée. L’enseignant vérifie que les élèves ont compris la théorie en leur proposant des exercices qu’il réalise avec eux. La troisième et dernière étape est la pratique autonome. L’élève effectue seul des activités entraînant la théorie qu’il vient d’apprendre. Il a le temps ainsi de bien intégrer les nouveaux savoirs. Ce n’est qu’en fin de séquence qu’il réalisera des tâches plus complexes et non pas au début comme le préconisent les méthodes constructivistes.

D’une certaine manière, c’est ainsi que le bon enseignement traditionnel transmissif opérait. Cela relève du bon sens. Le maître cherche à bien expliquer à ses élèves et à bien leur faire intégrer un nouveau savoir. L’enseignement explicite reprend ainsi l’essentiel de l’enseignement traditionnel en l’améliorant par sa prise en compte des réalités découvertes par les sciences cognitives (mémoire de travail/mémoire de long terme, risque de surcharge cognitive, importance des analogies, etc.).

Le livre de Stevan Miljevic est d’une lecture agréable. Il présente des preuves scientifiques de la validité des différentes méthodes pédagogiques. Ainsi, il est démontré que les méthodes constructivistes ne sont pas ou peu efficaces, bien que massivement enseignées dans les écoles pédagogiques. Tout au plus, elles présentent des éléments qui peuvent être intégrés à une pratique pédagogique riche et ouverte au questionnement. En revanche, les méthodes d’enseignement explicite ont une efficacité qui est démontrée scientifiquement par les méta-analyses opérées depuis quelques décennies.

L’ensemble de ce livre ne sera pas résumé dans cet article. En revanche, on encouragera vivement tout enseignant ou personne intéressée par l’école à l’acheter et à le lire. Il devrait même être obligatoirement lu et annoté durant la HEP par toute personne se destinant à cette profession.

Il est écrit par un enseignant, donc par quelqu’un qui sait ce qu’est une classe et comment on y travaille. Un des problèmes de l’école est que beaucoup de personnes qui décident de son orientation ne sont pas elles-mêmes enseignantes, ou ne le sont plus depuis trop longtemps, ou enfin, sont enseignantes, mais dans des classes privilégiées. Il est facile de construire des théories abstraites, mais qui sont inopérantes et nuisibles dans la réalité. Dans cet ordre d’idées, les directeurs et les doyens devraient garder des heures d’enseignement, notamment avec les classes les plus dures, celles à propos desquelles ils prennent certaines décisions, afin d’évaluer leur pertinence. Pour savoir si une pratique pédagogique fonctionne, il faut l’éprouver soi-même, dans sa chair même, aurait-on envie de dire. Il est à ce titre bien joli de parler d’inclusion ou de différenciation, mais encore faut-il voir comment cela se passe concrètement dans une classe afin d’évaluer si les mesures sont positives. Un point sur lequel on remarque que l’auteur est lui-même enseignant est la mise en garde qu’il opère par rapport au bruit. S’il y a des aides à l’inclusion dans la classe ou des groupes qui travaillent ensemble, cela fait monter le niveau sonore et peut gêner la concentration et le travail intellectuel (cf. p. 43). Quand on enseigne, on sait qu’il est important qu’il y ait souvent de longues phases de silence pour que chaque élève puisse se concentrer et travailler. Cette importance du silence est souvent ignorée par les pédagogues, quand bien même elle est fondamentale!

Un autre point qui est au cœur de la réflexion concernant l’école est la question de l’égalité. Mme Amarelle, chef de l’école vaudoise, l’a encore affirmé dans sa conférence sur son Concept 360° – projet «visant à la mise en œuvre et la coordination des mesures spécifiques en faveur des élèves des établissements ordinaires de la scolarité obligatoire» – que les établissements doivent mettre en pratique ces trois prochaines années. Il est avéré qu’il y a des inégalités de compétences et de connaissances entre les enfants à leur entrée à l’école à 4 ans et que celles-ci augmentent durant la scolarité jusqu’à leurs 15 ans. La gauche aimerait supprimer ces inégalités ou du moins les limiter. Le vœu est louable, s’il s’agit de hausser le niveau des plus faibles. En revanche, on entend rarement que le seul moyen de limiter la reproduction sociale des inégalités est le travail dans de bonnes conditions, travail qui permet à l’élève de réaliser les apprentissages à satisfaction. Plutôt que de mettre l’accent sur une «école républicaine et méritocratique», ainsi que nos amis français ont coutume de le dire, on cherche à baisser le niveau ou plus précisément à le niveler vers le centre, à être moins exigeant, à cacher les manques d’apprentissage par des évaluations et des promotions laxistes, à transformer les classes en des ruches bruyantes où beaucoup d’élèves n’arrivent plus à travailler, où les apprentissages ne se font plus que partiellement – ce qui est peut-être le problème principal de l’école actuellement. Stevan Miljevic dit à ce propos que «donner le maximum à chacun sert les intérêts de tous». Il ajoute: «Peu importe que l’écart entre les plus doués et les plus faibles se creuse, l’essentiel est d’élever chacun au plus haut» (cf. p. 112). Cette complexe et délicate question de l’égalité mériterait d’être analysée plus avant.

Une application idéologique de l’idée d’égalité, faisant fi des réalités de terrain, ne pourra qu’échouer. L’école en sortira encore plus dégradée et les inégalités pourraient paradoxalement augmenter. Si l’école publique n’arrive plus à enseigner, les parents qui en ont les moyens mettront leurs enfants dans des écoles privées.

L’auteur ne parle pas en particulier de l’inclusion, alors que cette nouvelle notion est devenue omniprésente depuis quelques années. On peut se demander si on rend service aux enfants des classes «défavorisées» en laissant l’indiscipline et des climats peu propices au travail se développer dans des classes, parce qu’on veut absolument y inclure des élèves qui n’ont soit pas le niveau, soit qui ont des comportements perturbateurs qui dégradent immanquablement la subtile et délicate atmosphère de travail d’une classe où chaque cerveau se concentre.

La question de l’égalité et celle de l’inclusion seront les questions les plus difficiles à traiter intellectuellement et politiquement ces prochaines années.

Référence:

   Stevan Miljevic, L’école à la croisée des chemins, L’Age d’Homme, 2019.

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