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L’agriculture, ce patrimoine immatériel

Le Coin du Ronchon
La Nation n° 2128 2 août 2019

En septembre 2017, les citoyens suisses ont plébiscité un nouvel article constitutionnel 104a demandant à la Confédération d’«assurer l’approvisionnement de la population en denrées alimentaires». Le monde agricole a perçu ce vote comme l’expression d’un fort soutien à son activité. Or il n’en était rien. Les bourgeois urbains qui peuplent aujourd’hui la Suisse ont voté ce texte (qui fait double-emploi avec l’article 104, qui prévoit la même chose) uniquement pour se donner bonne conscience; mais en réalité ils n’aiment pas beaucoup, voire pas du tout les paysans. Ces derniers sont considérés comme des perturbateurs de l’ordre naturel – car ils occupent abusivement la campagne et ont même l’outrecuidance d’y construire leurs habitations, alors que la nature est censée n’être qu’un espace de délassement – et comme des exploiteurs et des profiteurs, car ils tentent de gagner de l’argent en exploitant économiquement non seulement la terre, mais aussi de nombreux animaux dont ils bafouent les droits. Quant à l’idée que l’agriculture puisse servir à nourrir la population, elle paraît totalement anachronique à des individus pour lesquels les potagers urbains et les centres commerciaux représentent l’horizon indépassable de l’alimentation.

Cela explique l’apparition d’initiatives populaires pour interdire aux agriculteurs d’utiliser des produits phytosanitaires. Cela explique aussi les gros titres de la presse estivale cherchant à exciter l’opinion publique contre des éleveurs forcément suspects de maltraiter leurs animaux. Le monde agricole a réagi mollement (aucun journaliste n’a reçu de fumier sur son SUV 4x4 ou sur son E-Bike) et la cause semble entendue. Même les espaces de commentaires des tabloïds en ligne, là où se rassemble toute la fange intellectuelle de notre société, regorgent de propos haineux envers ces salauds de paysans qui touchent beaucoup trop d’argent et ne soignent pas assez leurs bêtes.

C’est ainsi: le citoyen moderne ne veut plus de l’agriculture à grand-papa, qui produisait des aliments en quantité suffisante et à des conditions économiquement supportables. L’agriculture 2.0 de demain sera durable, avec quelques épis de blé qu’on regardera durablement pousser, puis sécher, quelques moutons qu’on regardera durablement gambader jusqu’à leur vieillesse, et quelques paysans durablement parqués dans des réserves naturelles. Pour sauver le climat, on se passera des vaches et de leurs flatulences. Pour préserver la nature, on dématérialisera l’agriculture. Pour en finir avec la surproduction, les agriculteurs n’auront plus un radis. Quant aux urbains modernes qui auront encore une petite faim après les trois tomates qu’ils auront cultivées eux-mêmes, et qui renâcleront à pousser leur logique jusqu’au bout en se laissant dépérir pour lutter contre la surpopulation de la planète, ils iront acheter en France voisine, à bas prix, du quinoa importé d’Amérique du Sud.

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