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A trop crier au loup...

Jean-François Cavin
La Nation n° 2139 3 janvier 2020

Sur le paquet de cigarettes, votre avis mortuaire anticipé vous terrorise au premier abord; après quelque temps il vous donne seulement mauvaise conscience de céder à votre addiction; finalement il entre dans l’ordinaire au point que vous ne le voyez plus. Ou alors, si vous êtes un peu philosophe, il vous fait réfléchir, au-delà du flou de la médecine, à la précarité de la santé, à la finitude de la vie humaine, à la certitude de la mort; vous accoutumant à regarder de près la Camarde, désormais plus familière et moins menaçante, il dédramatise son approche, et vous en rallumez une.

Sur un registre moins fatal, la télévision vous répète à satiété, pour toute publicité relative à un remède, que «cela est un médicament; consultez votre spécialiste et lisez la notice d’emballage». C’est énoncé d’une voix égale, au débit si rapide qu’un Vaudois à la comprenette normalement nonchalante peine à s’imprégner du message. Mais ça n’a aucune importance; de toute façon, à la huitante-huitième audition, le babil est devenu une petite musique de fond que vous n’écoutez plus.

A trop crier au loup, on finit par ne plus y croire. Mais l’inefficacité de cette prévention n’intéresse pas vraiment l’Etat hygiéniste qui l’impose ou la recommande. Car il estime faire de toute manière son devoir en vous asservissant à sa bienveillante tyrannie; sa conviction, en effet, est que vous ne vous tirerez pas d’affaire tout seul face aux périls de l’existence.

La providence administrative qui nous materne n’a d’ailleurs pas entièrement tort. Les générations montantes se sont éloignées de la nature qui nous enseignait, savoir transmis de mère en fille, les vertus des infusions de camomille, des fumigations à la sauge prises sous d’étouffantes serviettes, des brûlants cataplasmes à la farine de lin. Aujourd’hui, les pastilles aux noms bizarres sorties des chaînes de l’industrie pharmaceutique se réfèrent à des combinaisons moléculaires incompréhensibles pour le commun des mortels. Dans l’alimentation, de même, on a perdu le coup d’oeil et le bon sens qui détournaient de viandes trop verdâtres, de laitages à la grisaille suspecte, de légumes fleurant la pourriture; la jeunesse ne connaît plus l’adage selon lequel le poisson pue le troisième jour, comme les visites. La mangeaille conditionnée est donc munie de dates-limite de consommation, évitant au chaland de laisser parler son instinct.

Nous ne sommes pas encore entièrement contaminés par le droit américain, qui écrase les fabricants de tous objets sous le poids d’une responsabilité dite causale, du simple fait qu’ils ont fabriqué, les rendant coupables des dommages provoqués par leurs produits, même si l’acheteur en fait usage avec la plus folle imprudence. Mais on s’y achemine. Le principe de précaution gagne du terrain, qui veut que l’on interdise tout ce dont l’innocuité n’a pas été démontrée; on exige donc la preuve négative, la probatio diabolica ! Où l’on voit que l’Etat-providence est celui de la diablerie. Et le principe de précaution tend à remplacer, au firmament de l’ordre juridique, celui de la proportionnalité: la primauté de la mesure raisonnable fait place au triomphe de la pétoche universelle.

Mais peut-être l’homme a-t-il encore au fond de lui-même la force de se prémunir contre trop de prévention? Peut-être notre article est-il trop pessimiste? Usez donc de sa substance avec modération!

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