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Actualités  |  Mardi 26 août 2014

Du bon usage de la culpabilité

On fait souvent état du sentiment de culpabilité dont souffrent les chrétiens et les Occidentaux en général. On accuse les pasteurs et les prêtres d'en avoir usé et abusé pour renforcer leur pouvoir. Le reproche n'est pas entièrement injustifié. La tentation est forte de compenser une prédication inefficace par des pressions morales. La dénonciation de l'avarice et de l'usure au Moyen Age, de la débauche au XIXe siècle, des injustices sociales aujourd'hui ont effectivement pu servir à culpabiliser les fidèles pour mieux les tenir.

La Réforme est particulièrement concernée. Plus d'un croyant réformé, privé du sacrement de pénitence qui remet les compteurs à zéro, n'arrive pas à se défaire de ce sentiment excessif de culpabilité qui engendre le mépris et la haine de soi, l'hypocrisie, parfois le rejet pur et simple de la religion.

Il est juste de dénoncer les dérives culpabilisantes propres au moralisme. Et Dieu sait qu'on ne s'en est pas privé, ces cinquante dernière années, notamment avec la dénonciation, devenue tellement banale, de l'influence de Calvin dans les cantons romands.  

L'ennui, c'est que cette chasse à la culpabilisation finit par faire oublier qu'il est naturel que des fautes réelles, commises en connaissance de cause, engendrent un sentiment de culpabilité proportionné à leur importance. Ce sentiment est aussi nécessaire que la douleur qui accompagne une blessure.  C'est lui qui rend possible le retour sur soi-même et la volonté de réparer. Si l'on rejette le principe même de la culpabilité, il n'y a plus de bien ni de mal, juste la libre conscience de l'individu qui décide en toute impunité ce qui est bon pour lui.

Revenons à cette espèce de culpabilité qui ne correspond pas à une faute clairement identifiée, et qui n'est peut-être qu'une trace fossile du péché originel. Elle se manifeste par le sentiment permanent d'être insuffisant en toute chose et d'avoir complètement raté sa vie, disons même par l'impression diffuse d'un passif définitivement impossible à combler.

Il peut être utile, voire vital de consulter un «psy» ou un pasteur à ce sujet. Mais quand la consultation ne débouche sur rien et que la disposition pathologique subsiste, il reste la solution de l'accepter. Non pas l'accepter comme un aveu d'échec, mais en en tirant une obsession compensatoire de perfection: ne pas se débarrasser de la culpabilité, mais la récupérer, la recycler. Elle cesse d'être un sentiment stérilisant pour devenir un aiguillon à mieux faire. On se met de côté, soi-même et ses petits sentiments de culpabilité, pour se concentrer sur des finalités qu'on juge plus importantes, familiales, professionnelles, artistiques, littéraires, politiques.

Et il arrive que la contemplation de ce qu'on a réalisé dans cet esprit engendre, brièvement, quelque apaisement, un peu d'approbation de soi-même, quelque chose comme un sentiment de pardon.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 26 août 2014)