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L’extension du service obligatoire

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1851 5 décembre 2008
Lors d’un nos «entretiens du mercredi», nous avons reçu M. François Roch, président des jeunes radicaux vaudois, qui nous a présenté la notion de «service citoyen». M. Roch constate que l’intérêt des jeunes pour le service militaire diminue, mais que beaucoup restent favorables au principe d’un service obligatoire à la collectivité. Il propose donc de coordonner l’armée, le service civil, le service du feu et la protection civile. On placerait ainsi ces quatre services sur pied d’égalité et le jeune appelé pourrait choisir celui qu’il préfère.

Le service du feu est communal ou intercommunal. La nécessité d’une intervention immédiate impose une organisation décentralisée et l’omniprésence de petites unités autonomes. Il est obligatoire, mais ne le sera bientôt plus. Du même coup, la «taxe pompier» sera supprimée.

La protection civile répond à une exigence fédérale. Elle est organisée par les cantons. Elle assure le ravitaillement, la fourniture en électricité, l’hébergement et autres services du même type lorsqu’une collectivité en est privée à la suite d’une catastrophe, naturelle ou autre. Dans le Canton de Vaud, elle est organisée sur le plan régional, en reprenant le découpage des anciens districts. Il y a quelques années, on envisageait de la fusionner avec le service du feu, pour supprimer les redondances en matière de formation, d’achat de matériel et d’intervention, ainsi que pour faire profiter les pompiers, et leurs employeurs, des allocations pour perte de gain. A ce que nous savons, le projet est au point mort.

La perspective militaire est unitaire et fédérale: toutes les parties de la Suisse doivent être couvertes dans une perspective cohérente.

Le service civil, enfin, ne répond à aucun besoin, si ce n’est celui de soulager les politiciens en faisant taire les organisations de soutien aux objecteurs de conscience. Il est organisé par les cantons.

La coordination de ces activités estelle possible? Nous ne le nions pas absolument, mais cela pose en tout cas d’énormes problèmes pratiques, sans parler des conflits de compétence.

Quant à les mettre sur pied d’égalité, c’est encore une autre affaire. La formation et l’entraînement du soldat exigent bien plus de temps, de peine et d’argent que celle du pompier, même chef d’intervention. Le pompier court sans doute des risques réels, le «soldat» de la PC aussi, mais le soldat doit envisager le sacrifice de sa vie. On n’est pas dans le même registre. De même, le temps que consacre un pompier à son service n’est pas comparable à celui que le soldat consacre au sien. Certes, le premier est actif beaucoup plus longtemps que le second, mais cela ne comble qu’une partie de la différence. La compensation ne sera jamais complète, sauf à allonger artificiellement le temps consacré au service du feu. De toute façon, cette comparaison est trompeuse: en temps de service actif, le soldat peut être contraint de passer un temps indéfini en garnison. Ce risque ne menace pas le pompier.

Le service du feu est une corvée à l’ancienne. Il est justifié à la fois par la solidarité de voisinage et par l’urgence des interventions. Pour le reste, un citoyen ne sert jamais aussi bien la société et le pays qu’en s’occupant de sa famille, en exerçant son métier et en assumant les conséquences sociales, notamment associatives, qui en découlent. Le service militaire obligatoire constitue une entorse à ce principe. Nous acceptons et soutenons cette entorse parce que la Confédération suisse, garante de la survie des cantons, ne saurait s’en dispenser. Mais cela doit rester une exception.

On peut craindre que le «service citoyen» ne se développe dans un sens exactement inverse et n’annonce l’extension du service obligatoire à d’autres domaines: social, écologique, sécuritaire, etc. Ce n’est pas ce que veut M. Roch, c’est évident, mais il n’est pas maître des conséquences ultérieures d’une mise en oeuvre du «service citoyen».

Au cours du débat qui a suivi, un participant a souligné le fait que la proposition du conférencier met concrètement le service à la communauté à la portée des jeunes, créant du même coup entre elle et eux des liens d’appartenance bénéfiques. Il semble qu’en France, la suppression du service miliaire obligatoire ait coupé le seul lien qui rattachait les jeunes des banlieues à la France. Abandonnés à eux-mêmes, ils se sont trouvé une identité collective locale, mélange ethnico-religieux instable qui a explosé et n’attend qu’un prétexte pour exploser à nouveau.

Nous ne nions pas l’aspect intégratif du service à la communauté. L’armée, en particulier, intègre les naturalisés de fraîche date, socialise les solitaires, apprend le partage aux égoïstes, place les forts devant l’évidence de leur responsabilité à l’égard des faibles. Les aventures dramatiques ou cocasses vécues en commun créent des liens durables. A un degré moindre, les exercices et les interventions créent un esprit de corps précieux chez les pompiers de milice. Mais la finalité du service du feu est de combattre l’incendie, celle de l’armée de dissuader l’ennemi d’envahir le territoire national. C’est dans cette seule perspective que ces corps sont justifiés et doivent être organisés. La solidarité, l’expérience collective, le renforcement du sentiment d’appartenance sont des retombées positives, des avantages collatéraux. Ils ne justifient pas le maintien d’une troupe qui n’aurait plus de but clairement défini.

Et c’est sur ce problème de finalité que l’armée suisse bute aujourd’hui. Le souvenir de la mobilisation, entretenu par ceux qui l’avaient vécue, a maintenu l’esprit de service dans la génération née après la guerre. C’est déjà beaucoup.Mais les Suisses ne sont pas des imaginatifs. Une si longue paix leur a fait croire qu’il n’y aurait plus jamais de guerre, sentiment conforté par le préjugé progressiste qui veut que le monde marche inéluctablement vers la concorde universelle. Les dépenses consenties chaque année pour un armement qui n’a jamais servi et tôt désuet engendrent un sentiment de gaspillage. Et puis, c’est un fait que la Confédération économise de l’argent chaque fois qu’un Suisse ne fait pas de service!

Autrefois, on évoquait volontiers une «bonne petite guerre» pour réveiller les coeurs défaillants. Et puis, conscient de l’énormité de la formule, on corrigeait: «Disons, les Russes à Vienne…». Aujourd’hui, on invente des occupations pour l’armée: damage de pistes, nettoyage de forêts, service à l’étranger, etc. C’est quelquefois utile, jamais nécessaire. Les dépenses, même si elles vont diminuant, n’en apparaissent que plus disproportionnées, et le temps passé en uniforme, que plus interminable.

Comme nous l’avons dit à M. Roch, nous sommes sceptiques quant à la possibilité d’unifier et d’égaliser des services si disparates. Les besoins en hommes sont trop différents. Il y aura toujours assez de pompiers et de soldats de la protection civile, et il y aura toujours trop d’«engagés» dans le service civil. En revanche, l’effort de guerre moderne exige l’engagement de tous les citoyens en âge de servir. En ce sens, le service militaire obligatoire est et reste un service incomparable, irremplaçable et non extensible.

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