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L’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud - Séminaire 2009 de la Ligue vaudoise (III)

Benoît Meister
La Nation n° 1860 10 avril 2009
Musulman et vaudois?

Comment le musulman vivant dans le Canton de Vaud peut-il devenir vaudois? Quelles sont les voies les plus naturelles, les moins contraignantes, les plus sûres pour qu’un musulman soit assimilé à notre pays? Deux questions de nature politique, qu’empoigne aussitôt et vigoureusement Félicien Monnier, jeune étudiant en droit, trompettiste, rédacteur à La Nation et premier orateur de cette troisième séance consacrée à l’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud.

La question de l’intégration et de l’assimilation du musulman, telle qu’elle est posée par le conférencier, implique de reconnaître les vertus politiques de l’assimilation, par quoi il faut entendre «l’adhésion pleine et entière d’une personne au destin d’un pays, à ses moeurs». Avant de faire apparaître la façon dont l’étranger, musulman ou non, peut se sentir progressivement appartenir au pays qui l’abrite, il faut donc refuser l’idée communautariste selon laquelle les groupes nationaux, religieux et ethniques sont totalement imperméables et ne peuvent vivre que juxtaposés sur un territoire soumis à une autorité réduite à sa fonction d’ordre et d’administration. D’une part, le communautarisme exclut la possiblité pour la personne de s’intégrer dans une communauté nationale autre que celle dont il est originaire; d’autre part, il suppose une égalité entre les différents groupes vivant sur un même sol, égalité que nous jugeons destructrice pour nous-mêmes, pour nos moeurs, notre culture, notre religion, égalité que nous estimons de toutes manières irréalisable.

La finalité ultime de la politique est la concorde entre les membres de la nation dont elle a la charge. Dans le cas qui nous occupe, et plus généralement lorsqu’il s’agit d’accueillir des étrangers sur notre sol, la paix ne peut être maintenue que par l’intégration, c’est-à-dire l’acquisition progressive par l’étranger de nos moeurs, lent processus dont le terme est l’assimilation. Il est certain qu’en retour, le caractère de la communauté nationale se verra modifié, dans une plus ou moins grande mesure, par la personne qu’elle a assimilée; une communauté nationale n’est pas un bloc inerte; elle vit et évolue, très lentement et jamais de manière spectaculaire. Cela dit, le problème de l’intégration des musulmans se pose différemment que pour les Italiens, les Espagnols ou les Portugais. Le fait que la religion nous sépare des premiers rend certainement plus difficile leur intégration dans notre pays et leur adhésion à nos moeurs.

Selon Félicien Monnier, trois écueils sont à éviter quand on veut définir l’identité d’un peuple, en particulier des Vaudois. L’approche biologique et physiologique d’un Charles Gorgerat, par exemple, qui cherche à fixer par quelques traits le type vaudois (non sans toucher juste parfois), est inadéquate et superficielle: si n’est vaudois que celui qui naît vaudois, la question de l’intégration n’a pas lieu d’être posée. L’approche légaliste, ensuite, escamote également la question de l’intégration et de l’assimilation: il suffirait de passer un certain nombre d’années dans un village du Canton, puis de suivre la procédure administrative prévue pour être vaudois. Or le papier, le passeport, ne fait pas encore l’assimilé, bien que l’approche légaliste soit, d’après les termes du conférencier, «la conception régnante de la nationalité, qui trouve son aboutissement dans la procédure fédéralisée de la naturalisation facilitée». La troisième approche, enfin, présente le défaut de faire de l’intégration une question purement subjective et sentimentale: serait vaudois ou suisse celui qui affirme qu’il «se sent vaudois» ou «se sent suisse». Certes digne d’intérêt, le critère du sentiment est toutefois trop instable pour juger de l’appartenance d’une personne à une communauté nationale.

C’est encore une autre approche qu’il faut envisager pour comprendre la logique vivante de l’intégration de l’étranger dans notre pays, une autre perspective, que l’on pourrait qualifier de communautaire. L’homme est un animal communautaire. La famille et la nation sont les deux communautés vitales pour la personne humaine. Entre elles, il existe un certain nombre de communautés intermédiaires, plus ou moins importantes pour notre accomplissement, plus ou moins déterminantes dans l’intégration de l’étranger. L’école, pour commencer, est l’un des vecteurs d’intégration et d’assimilation les meilleurs, aussi bien, d’ailleurs, pour le petit Vaudois que pour l’enfant de parents étrangers. Dans ce dernier cas, il est amusant de constater que l’enfant ayant suivi sa scolarité dans notre pays, par là mieux assimilé que ses parents, peut être en partie responsable de leur intégration… Pour l’adulte, la communauté professionnelle est également un facteur d’assimilation: on s’inscrit dans la réalité économique du pays, on participe à sa santé et à son développement. Enfin, l’armée offre également, au niveau suisse, de remarquables qualités intégratives.

Il existe encore d’autres communautés intermédiaires, moins importantes dans la réalisation de la personne et du bien commun national que les précédentes, mais qui le sont tout autant, peut-être même plus, dans l’assimilation de l’étranger à notre pays. Le conférencier commence d’ailleurs par elles, citant Chessex qui disait que «les Vaudois sont des gens de société». C’est la société d’étudiants, le club alpin de la région, la fanfare, l’association caritative, voire l’assemblée générale annuelle des amis de l’Office du tourisme d’Echallens. L’adhésion à une communauté de ce type se fait très simplement, parce que l’on y est entraîné par une connaissance, parce que l’on se trouve mieux en société que tout seul.

La vertu de toutes ces communautés intermédiaires, de l’école au club de football, est de relativiser, dans le sens qu’elles font réfléchir et agir en relation. Elles sont toutes des transpositions microscopiques du bien commun. Elles nous font réaliser que l’on n’est pas tout seul et au centre du monde. Enfin, elles sont des facteurs de paix et de stabilité.

Ces considérations s’appliquent aux Vaudois comme aux Italiens, aux Espagnols, ou encore aux musulmans. En naissant vaudois, nous ne sommes pas encore intégrés; nous nous approprions en grandissant les moeurs et la culture de notre pays. L’Italien ou l’Espagnol, dont l’assimilation se fait moins naturellement que pour le Vaudois, adoptera petit à petit les moeurs, les us et coutumes des Vaudois qu’il fréquentera dans les diverses communautés intermédiaires. Le musulman fera de même. Il faut ajouter ceci que l’appartenance à ces communautés tempère les ardeurs explosives qui peuvent naître de la différence de religion.

Il est difficile de soutenir une telle approche communautaire de l’intégration par les temps qui courent, individualistes et égalitaires. Il faut rappeler inlassablement – ainsi conclut Félicien Monnier – que sans relations, sans amitiés entre membres d’une communauté politique, rien de véritable ni de juste ne pourra être construit.


Aux autorités politiques et religieuses

Il revenait à Olivier Delacrétaz, président de la Ligue vaudoise, d’achever cette série de conférences sur la question de l’islam en Suisse et dans le Canton. Son exposé s’adressera aux autorités politiques et religieuses, dont certaines sont présentes ce soir-là à la salle des Cantons. Il leur dira ce que le Vaudois, le Suisse et le chrétien peuvent légitimement attendre d’elles face à l’islam et à la présence musulmane sur notre sol.

Introduction: situation de l’islam

L’islam est une religion en phase ascendante, nous l’avons vu lors de l’exposé de Jean-François Mayer: les musulmans sont actuellement entre 350000 et 400000 en Suisse; ils représenteront le 10% de la population dans un avenir proche. Contre l’idée communautariste, déjà combattue par le précédent conférencier, selon laquelle il n’y a pas de nations, mais seulement des groupes ethniques, raciaux, religieux, qui se contentent de coexister dans un même espace sans que l’un d’entre eux ne prédomine, il faut affirmer que la présence musulmane dans notre pays aura nécessairement des effets visibles et importants sur la vie quotidienne et les moeurs. La perspective communautariste semble nier les rapports de pouvoir qui existent entre les individus et les groupes; or il y aura, il y a déjà des rapports de pouvoir entre la population musulmane et la population indigène.

Avec l’islam, nous sommes face à une religion dont les exigences et les licences dans le domaine des moeurs familiales et sociales, dont les conceptions de la justice pénale aussi, sont contraires à celles que nous reconnaissons. Nous sommes encore face à une religion qui considère toutes les activités humaines, les arts compris, comme devant être subordonnées à la religion. Cette confusion fondamentale du temporel et du spirituel en fait une religion fort éloignée de la nôtre. Considérant d’une part ces différences profondes, d’autre part l’évidence selon laquelle les revendications des musulmans augmenteront en même temps que leur nombre, on est en droit de nourrir quelques inquiétudes et en devoir de penser dès aujourd’hui au comportement à adopter face à cette réalité nouvelle.

Trois fronts en présence

Une autre raison de penser que les revendications des musulmans se feront plus fortes à l’avenir repose sur le caractère laïque de notre société moderne. En effet, la position des tenants de la laïcité à l’égard de la religion et des moeurs musulmanes est bancale: d’un côté, leur volonté de promouvoir l’égalité de l’homme et de la femme les empêche de souscrire aux comportements familiaux en usage chez les musulmans; en même temps, affirmant l’égalité des droits des individus, voire l’égalité des droits des communautés religieuses, ils sont en position de faiblesse vis-à-vis des prétentions étrangères. Embarrassés par cette contradiction, les laïques se condamnent à reculer devant l’adversaire, qui voit probablement en eux de potentiels alliés provisoires plutôt que des ennemis sérieux. L’idéologie égalitaire sur laquelle se fonde la laïcité profite donc aux musulmans. Sa négation du poids de notre histoire séculaire, du rôle essentiel de l’Eglise dans notre civilisation, en un mot sa manière, destructrice pour notre présent, de faire table rase du passé est son véritable talon d’Achille.

En face des fronts musulman et laïque se trouve le front chrétien, c’est-à-dire non seulement les Eglises chrétiennes, mais encore la société qui reçoit ses fondements du christianisme. Traditionnelle, hiérarchique, différenciée, territorialiste, militaire et fédéraliste, cette société-ci lutte avec son contraire laïque, progressiste, égalitaire, unitaire, internationaliste et centralisateur. Notre pays est déchiré entre ces deux conceptions, d’où découlent des régimes politiques, des moeurs familiales et professionnelles radicalement différents. En ce qui concerne les chrétiens plus particulièrement, beaucoup ont de la peine à contester la laïcité, parce qu’elle est une fille sécularisée du christianisme, parce qu’elle utilise un vocabulaire qui semble faire écho au discours chrétien.

Ainsi, la situation des forces en présence paraît donner l’avantage aux musulmans: les chrétiens sont entravés par la laïcité, et la laïcité est investie ou investissable par les musulmans. Ce diagnostic une fois posé, quelles sont les stratégies à adopter par les Vaudois et les Suisses pour s’imposer?

Aux autorités fédérales

Le conférencier se tourne d’abord vers les autorités fédérales, politiques et juridiques. La Confédération, en tant que gardienne des frontières, est responsable de maîtriser le flux migratoire. En principe, elle ne doit pas accepter plus d’étrangers que le pays et ses habitants n’en sont capables d’intégrer. La capacité que les autorités politiques doivent évaluer ici est d’abord morale et culturelle, avant d’être financière ou alimentaire: seul un pays uni par des moeurs et une culture spécifiques est capable d’accueillir l’étranger au sens fort de ce terme, c’est-à-dire de lui fournir un terreau fécond dans lequel il puisse replonger ses racines. Si les liens qui unissent le pays sont lâches, si la Confédération impose au corps social plus d’étrangers qu’il n’en peut raisonnablement assimiler, le risque est grand qu’apparaissent des ghettos sur notre territoire et que se réalise par là l’idée communautariste.

Pour éviter également la création, par un autre biais, de ghettos, nous attendons que le législateur fédéral et les tribunaux se montrent d’une parfaite rigueur sur les questions de droit du mariage, sur le respect de nos lois et de nos procédures. Il n’est pas question qu’il existe des zones de non-droit, ou des îlots, dans le cas qui nous occupe, de droit musulman où l’on appliquerait non le droit suisse mais la charia, et qui reconnaîtraient par exemple la polygamie, le mariage forcé, les mutilations rituelles, pratiques autorisées par l’islam. Ce sont nos usages et notre droit qui font loi.

Aux autorités vaudoises

Quant aux autorités vaudoises, nous attendons d’elles qu’elles ne se montrent pas moins rigoureuses que les autorités fédérales sur le respect du droit, et particulièrement sur le droit des familles. Le reste est affaire d’intégration, celle-ci se faisant d’abord et surtout au niveau cantonal. Le précédent exposé a mis au jour les ressorts naturels de l’intégration de l’étranger par son appartenance à diverses communautés intermédiaires. Il faut préciser encore qu’il ne s’agit pas d’une intégration réciproque: le processus d’intégration suppose la présence d’une communauté politique dominante qui intègre les autres, selon ses usages et sa volonté.

Ceux qui pensent l’intégration en terme de concessions réciproques, rejoignant en cela la perspective égalitaire, font fausse route. On ne comprend rien aux relations entre les peuples, ni d’ailleurs entre les personnes, si l’on pense qu’une communauté dont la conscience identitaire est faible acueillera plus facilement l’étranger. C’est le contraire qui est vrai. «Pour intégrer, affirme avec force le conférencier, il faut être, être vigoureusement, croire en soi et en sa culture, sa communauté et sa religion. Sur certains points essentiels, nous ne sommes pas assez.» Malheureusement le Canton est faible dans la conscience de beaucoup de Vaudois, autorités incluses, et par conséquent dans celle des étrangers qui y vivent. En témoigne par exemple l’absence quasi totale à l’école de l’enseignement de la géographie et de l’histoire vaudoises, alors même que nous disposons de matériel récent dans ces branches. La connaissance historique, en particulier, de notre Canton est ample et précise, grâce au travail considérable de très bons historiens. Nous souffrons ici d’une schizophrénie alarmante, à laquelle il est urgent de remédier.

Aux autorités religieuses

Les Eglises chrétiennes ont un rôle essentiel à jouer dans la défense de nos moeurs et de notre civilisation. Si elles cèdent sur les vérités qu’elles prêchent, et si elles oublient leur devoir évangélique, les moeurs, la morale et le droit se verront privés de leur source principale. Les interdits moraux et politiques ne seront plus que des coquilles vides et mèneront un combat perdu d’avance. Nous attendons donc des Eglises qu’elles prennent position, plus, qu’elles agissent non seulement à l’égard de l’islam, mais également de la laïcité, notamment parce que cette dernière joue un rôle dans l’avancée de l’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud. Elles ont le premier devoir de continuer d’affirmer avec limpidité la divinité du Christ et sa revendication d’exclusivité, la réalité incompréhensible de la Trinité, de l’incarnation du Fils, de sa mort, de sa résurrection et de son retour à la fin des temps. Les Eglises doivent également être à la hauteur de leur vocation missionnaire. A long terme, c’est là que tout se joue.

Olivier Delacrétaz conclut en remarquant que la présence musulmane, «peut-être providentielle», nous oblige à mesurer nos propres faiblesses, les dérives et les divisions occidentales. Lutter contre l’islam nous impose de commencer par corriger ces faiblesses et ces dérives.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • L’initiative sur les minarets – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Les tarifs des laboratoires médicaux – Georges Perrin
  • La révision de la loi sur les documents d'identité – Pierre-Gabriel Bieri
  • Jean Studer fait des miracles – Denis Ramelet
  • AOC vaudoises – Benjamin Morel
  • Etat de Vaud et écoles privées – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Couteau: arme du crime – Revue de presse, Nicolas de Araujo
  • Sécurité fédérale – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Pourquoi tant de laine? – Le Coin du Ronchon