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L'affront de Benoît XVI à la modernité

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1862 8 mai 2009
Les catholiques qui ne jurent que par Vatican II, qu’ils aiment appeler «le Concile», sont amers. Benoît XVI a levé l’excommunication pesant sur les évêques de la Fraternité Saint-Pie X, connue pour son opposition aux réformes issues dudit concile.

Excités par les médias, de nombreux catholiques ont eu des réactions d’incompréhension et d’hostilité envers le pape. Même des prélats n’ont pas hésité à critiquer Benoît XVI. Pourquoi? Les partisans de l’ouverture ne devraient-ils pas saluer ce geste? Ne faudrait-il pas se réjouir que des catholiques pratiquants, fidèles à l’Eglise et à son enseignement, trouvent leur place dans l’Eglise? La seule existence de ce groupe de fidèles, quoique marginale, semble remettre en question tout le «renouveau» conciliaire.

Cette intolérance n’est pas nouvelle: après Vatican II, le nouveau rite de la messe fut introduit avec une étonnante précipitation, tandis que l’ancien («ancien» désigne le début des années 1970!) était aboli brutalement, sans doute parce que l’on savait que les populations y restaient attachées. Il vaut la peine de relire un article écrit à l’époque par le fondateur de notre mouvement, Marcel Regamey (1). Il déplorait l’autoritarisme avec lequel les directives concernant la liturgie étaient appliquées en Suisse:

[…] nous répugnons profondément à voir imposée cette liturgie aux très nombreux catholiques dont la foi s’exprime dans le rite romain traditionnel. La liturgie n’est pas un simple règlement de police du culte. Elle est beaucoup plus, une respiration de l’âme, une voie d’approche des mystères de Dieu.

Les fidèles catholiques contraints de troquer la liturgie latine traditionnelle contre la nouvelle liturgie en langue vulgaire subissent un véritable traumatisme psychologique. Ils sont en quelque sorte forcés dans leur for intime à changer, sinon de foi, du moins de religion.

Les Vaudois ont subi ce traumatisme au XVIe siècle, à peine plus grave, car les pasteurs français que les Messieurs de Berne nous ont imposés croyaient à beaucoup de choses que les abbés de la nouvelle vague ont jetées aux orties, avec leur soutane et leur col romain.

Certes la réforme catholique s’est faite trop rapidement, mais surtout elle s’est faite au moyen de l’appareil disciplinaire qui n’était destiné qu’à conserver la tradition et a été ainsi détourné de sa fin.

L’appel des prêtres et laïcs du diocèse de Sion (quels prêtres et quels laïcs?) a révélé la profonde contradiction qui consiste à faire appel à l’autorité disciplinaire pour imposer une rupture de la tradition. Contradiction encore plus surprenante lorsqu’on sait que la nouvelle liturgie compte quatre variantes et que l’appel pour l’unité des prêtres et laïcs valaisans ne vise qu’à éliminer la liturgie qui, en Occident et sous réserve des particularités du rite lyonnais, était la liturgie commune de l’Eglise catholique!

Une liturgie aussi ancienne possède, à côté de sa valeur religieuse, une valeur de civilisation et aussi une vraie valeur d’unité ecclésiastique. Un décret l’abolit, et c’est un grand pan de civilisation qui s’écroule et laisse de tristes décombres.

Si une hâte, qu’on ne peut se défendre de supposer voulue, n’avait pas posé en antagonistes les fidèles de l’ancien rite et les adeptes des nouveaux, il n’aurait pas été impossible de sauvegarder les valeurs irremplaçables de l’ancien, tout en rodant lentement et avec prudence le nouveau, et faire coexister l’un et l’autre pour assurer la tradition, le mot étant pris au sens propre.

Comme le subodorait M. Regamey, les méthodes caporalistes utilisées pour imposer la nouvelle messe montrent qu’il ne s’agissait pas d’une simple «mise à jour». Lorsque la chose la plus normale devient, du jour au lendemain, une vieillerie à éliminer, on est en présence d’un mouvement révolutionnaire.

Le sens de Vatican II

Plaçons Vatican II dans son contexte. Ce concile résulte d’une lassitude de l’Eglise. Quoique les catholiques modernistes le nient, l’Eglise n’a pas perdu son influence en Occident à cause de ses seules faiblesses. Elle a des ennemis acharnés. Depuis l’époque dite des Lumières, elle a subi les attaques des révolutionnaires, des libéraux, des socialistes et enfin des communistes. Ces combats, perdus par l’Eglise pour la plupart, sont usants. En 1968, alors que le communisme semblait porteur d’avenir et que seul le libéralisme mercantile s’offrait en alternative, l’Eglise catholique n’avait plus d’amis.

Dans la perspective moderne, les églises archaïques font obstacle au progrès, qui vise à la libération de l’homme. Les catholiques conciliaires avaient intégré cette vision du monde – celle de leurs adversaires. Dès lors, ils cessèrent de se défendre contre leurs ennemis, puisque l’ennemi c’était euxmêmes: ils crurent l’Eglise responsable des attaques que lui portaient ses adversaires libéraux et marxistes. Ils crurent que l’Eglise était avide de pouvoir lorsqu’elle acceptait d’être une Eglise d’Etat, intolérante parce qu’elle affirmait la vérité et condamnait l’erreur (péché aux yeux des libéraux), oppressive parce qu’elle niait l’égalité, bourgeoise parce qu’elle défendait le droit de propriété, arriérée parce qu’elle croyait aux miracles, dominatrice parce qu’elle «maintenait les fidèles dans l’ignorance» par l’emploi du latin, etc…

Aux yeux des progressistes catholiques, le Concile devait changer tout cela. On allait réconcilier le christianisme avec le monde moderne et bâtir une Eglise plus accueillante en liquidant sa culture séculaire (latin, chant grégorien), les formes de révérence à l’égard de Dieu (orientation du célébrant vers le Christ, agenouillements, communion dans la bouche, etc.), ainsi que la discipline (excommunication effective des fidèles qui, sans s’en repentir, vivent en contradiction avec la loi divine, ou qui diffusent des idées hérétiques).

La génération du Concile ne prenait pas au sérieux le mal, ni par conséquent les grands remèdes à employer contre lui. Inutile d’user de discipline envers des adultes. Dans les années 1960- 1970, l’arrivée d’une prospérité et d’un confort jusque-là inouïs (après le déchaînement de la Guerre) accrédita l’idée que le progrès technique ou social pouvait engendrer un progrès moral. Les exigences de l’Eglise apparurent comme une tare du passé, attribuable aux temps difficiles – un peu comme la cuillérée d’huile de foie de morue que les parents de l’Après- Guerre forçaient leurs enfants à ingurgiter tous les matins. Lorsqu’on les interroge, beaucoup de gens de cette génération n’arrivent pas à distinguer la tradition, avec ses sévérités légitimes mais aussi ses douceurs, du conformisme étroit et parfois hypocrite des sociétés villageoises dans lesquelles ils ont grandi.

Rejetant tout en bloc, les progressistes affirmèrent qu’ils étaient des chrétiens «adultes» (sous-entendu: pas des «enfants» comme au Moyen-Age). Inutile d’ennuyer des adultes avec des idées de péché, d’enfer et de diable, puisque à l’heure de l’avion à réaction l’homme était capable d’éliminer le mal physique (par l’hygiène et la médecine), moral (par la psychanalyse) ou politique (par le marxisme et la démocratie). L’Eglise se bornait à un rôle humanitaire.

Bien sûr, il n’était pas question de changer les dogmes: les progressistes du Concile prétendirent les mettre au goût du jour. En réalité, la discipline une fois abandonnée, tout parut permis. Ainsi la plupart des excès que l’on attribue à Vatican II n’en sont pas directement issus, mais datent de l’emballement moderniste qui s’ensuivit.

L’échec du «renouveau»

Ce renouveau, auquel de nombreux catholiques crurent de bonne foi, subit l’échec que connurent tous les projets libertaires des années 1960. L’éducation laxiste promue depuis 1968 n’a pas épanoui les enfants en les libérant de l’autorité parentale. Lorsqu’elle a été appliquée sérieusement, elle a produit des enfants gâtés, immatures et peu sûrs d’eux – voyez les taux de suicide parmi les rejetons de soixante-huitards. De même, le relâchement de la discipline n’a pas amélioré l’ambiance dans l’Eglise: privé de son autorité, le corps ecclésial ne fut plus écouté; la pratique chuta, la réception des sacrements et la présence à la messe n’étant plus déclarées obligatoires. Quant à l’effet «libérateur» du Concile, il s’avéra bien passager, car on peut bien supprimer le péché du vocabulaire, mais non du coeur de l’homme. Pour l’enfant gâté, les rares refus que lui opposent ses parents sont d’autant plus insupportables que tout le reste est permis. De même, on ne sut aucun gré à l’Eglise d’avoir cédé sur tant de points de discipline alors qu’elle continuait à rappeler les commandements divins en matière de morale privée et familiale.

L’abandon du latin ne suscita pas non plus d’enthousiasme durable. La liturgie fut traduite en langue vulgaire, mais certains passages font penser que les traducteurs prirent cette expression au pied de la lettre. Pire, les chants «modernes» des années 1970 sont devenus pathétiquement ringards. Mais la liturgie latine et le chant grégorien n’ont pas pris une ride. Prenons le Salve Regina. Dans ce chant, servi par une mélodie simple, les fidèles se présentent comme les «fils d’Eve, en exil dans cette vallée de larmes», adressant leurs «supplications» à Marie et lui demandant de leur «montrer son Fils». En quelques mots, l’homme trouve sa juste place: il souffre, étant marqué par le péché originel, mais il espère en son Sauveur, s’adressant à la mère de Celuici. Ces paroles livrent un message réaliste et facile à comprendre, quoique profond.

Ce qui est éternel reste d’actualité. Le dernier cri – c’est le cas de le dire pour beaucoup de chansonnettes modernes – vieillit terriblement vite.

Or, à trop vouloir s’adapter au monde, l’Eglise risque plus que la ringardise: c’est son message qui est menacé. Marcel Regamey le pressentait. Parlant du Concile (2), il affirmait que toute réforme doit être extrêmement prudente lorsqu’elle vise l’adaptation du message de l’Eglise à une meilleure compréhension des hommes d’aujourd’hui. Le monde ne saurait jamais être une norme pour l’Eglise. Dans un monde formé par une philosophie sousjacente subjectiviste ou marxiste, l’Evangile risque d’être altéré en étant mis au goût du jour.

De fait, la mise à jour conciliaire est un échec. Elle a vidé les églises, ou du moins n’a pas empêché la débandade des fidèles. Qu’à cela ne tienne! les adeptes du «renouveau» préconisent une nouvelle dose du même poison. Ils réclament la fin du célibat des prêtres, l’admission des femmes au sacerdoce, un dialogue interreligieux plus soutenu, ainsi que la bénédiction du divorce, de la contraception et de l’avortement. Le schéma est connu. Devant l’échec d’une réforme, ses promoteurs s’excusent en disant qu’elle «n’a pas été assez loin», et proposent de la continuer (3).

Et maintenant?

Heureusement, on peut démontrer que de nouvelles concessions à la modernité ne seraient pas bénéfiques. Les vieux-catholiques et certaines églises protestantes, qui ont cédé sur les points susmentionnés, ne s’en trouvent pas mieux. Mais les traditionalistes catholiques et les évangéliques, qui préfèrent respecter les commandements divins plutôt que de se conformer au monde, jouissent d’une belle vitalité à tous points de vue. Sans Vatican II, l’Eglise catholique serait vraisemblablement en meilleure santé aujourd’hui (4).

C’est pourquoi ses adversaires tiennent tant à ce qu’elle reste dans la ligne conciliaire.

Il faut comprendre les récents événements dans ce contexte. Le dernier grand adversaire de la modernité, l’Eglise catholique, avait cessé le combat après Vatican II. Or voilà qu’elle se réveille. Benoît XVI vient de porter un coup à la progression jusque-là ininterrompue de l’idéologie moderne. Il la fait même reculer. D’où le déchaînement des ennemis de l’Eglise dans les élites intellectuelles, politiques et médiatiques. Il s’agit de faire payer au pape son affront.

Comme souvent dans ces cas-là, c’est un observateur extérieur qui peut dire les choses avec le plus de clarté. Contrairement à beaucoup de ses coreligionnaires, le rabbin Yehuda Levin a refusé de critiquer le pape dans l’affaire Williamson. M. Levin, chef de l’association nord-américaine Jews for Morality, connue pour sa défense de la vie et de la famille, affirmait, selon le site internet LifeSite News: «Il me semble qu’il est très important de remplir les bancs de l’Eglise catholique non pas avec des catholiques sociologiques ou de gauche, qui contribuent à détruire l’Eglise catholique et à corrompre les valeurs de l’Eglise catholique.» Cette corruption, a-t-il dit, «se propage ensuite à toutes les autres communautés religieuses dans le monde. Que fait le pape? Il essaie de ramener les traditionalistes au bercail parce qu’ils ont beaucoup de choses très importantes à apporter au bien commun du catholicisme. Maintenant, si, ce faisant, il inclut par inadvertance une personne haut placée chez les traditionalistes, et dont il se trouve qu’elle dit des choses très étranges sur l’Holocauste, faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et se mettre à condamner le pape Benoît? Non, absolument pas. […]

«Le plus important», a-t-il dit, est le travail que fait l’Eglise «pour sauver les bébés de l’avortement, et pour préserver la pensée des enfants et la pensée des jeunes, en les aidant à distinguer le bien du mal dans les questions qui concernent la vie et la famille.»

L’Eglise n’a pas à «s’adapter au monde moderne». Elle répond bien sûr aux préoccupations de son temps, mais se préoccupe surtout d’éternité.

Ceux qui, de bonne foi, avaient cru au rêve conciliaire, peuvent aujourd’hui se comporter en chrétiens adultes. Même s’il leur en cuit de se dédire, ils doivent reconnaître cet échec. Un tri doit être opéré entre le bon grain et l’ivraie dans l’héritage de Vatican II. Les plus anciens peuvent aider les jeunes générations à renouer avec le catholicisme traditionnel. Il ne s’agit surtout pas de se montrer nostalgique ou passéiste, mais de remettre le passé à sa place, en le considérant comme un point d’appui, non comme un obstacle à la marche de l’Eglise, en attendant le retour du Fils de Dieu fait homme.


NOTES:

1) Marcel Regamey, «Le rite de Pie V aboli?», La Nation No 920, 31 mars 1973.

2) Marcel Regamey, «Où l’autorité devient abusive», La Nation No 917, 17 février 1973.

3) Tous ne se sont pas lancés dans une telle fuite en avant. Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, faisait partie des progressistes au Concile. Mais il refusa les excès qui s’ensuivirent.

4) On ne peut refaire l’histoire. Reconnaissons qu’en termes de pratique religieuse et de respect des commandements de l’Eglise, la situation pourrait difficilement être pire que ce qu’elle est aujourd’hui en Occident.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Une certaine presse... – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Minarets – Jacques Perrin
  • TIGRIS, le fauve au repos – Jean-François Cavin
  • Mgr Williamson: chapeau! – Jean-Pierre Tuscher
  • Du quilquellisme – Daniel Laufer
  • Romandie – Revue de presse, Jacques Perrin
  • Particularités – Revue de presse, Jacques Perrin
  • Antiracisme – Revue de presse, Jacques Perrin
  • Stress nous stresse – Revue de presse, Jacques Perrin
  • Fin de la piraterie, renouveau du secret bancaire, juste mort du cochon – Le Coin du Ronchon