Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les cantons, bouclier du Conseil fédéral

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1863 22 mai 2009
La Confédération suisse continue d’être soumise à diverses pressions, notamment fiscales, de la part de l’Union européenne et des Etats-Unis. Or, c’est un fait qu’indépendamment même de leurs capacités personnelles, nos conseillers fédéraux sont en position de faiblesse face aux représentants des Etats étrangers. Un conseiller fédéral n’est qu’un septième de chef d’Etat, et le président de la Confédération à peine plus qu’un président de séance. Elus en fin d’année par le parlement, les conseillers fédéraux sont privés de la notoriété qui accompagne l’élection populaire. Ils sont mal connus chez nous et anonymes à l’étranger. On se rappelle M. Chirac désignant le conseiller fédéral Flavio Cotti et demandant discrètement (sauf que le micro était ouvert) à l’un de ses conseillers: «Qui est ce monsieur?».

La désignation d’un conseiller fédéral dépend avant tout du jeu d’influence subtil et sordide que mènent les grands partis, ainsi que des exigences de l’équilibre confédéral, entre les cantons, bien sûr, mais aussi entre les groupes linguistiques et confessionnels. La personnalité du candidat joue souvent un rôle secondaire. Il arrive même que ce soit précisément son insignifiance qui le fasse élire.

Enfin, le conseiller fédéral sait, et ses partenaires étrangers le savent aussi, que son pouvoir est limité. Par la démocratie directe, ses actions restent sous le contrôle du peuple et des cantons. Cela ne renforce son autorité personnelle ni dans sa tête ni dans celle de ses partenaires.

Faut-il donc donner plus de pouvoir politique et de liberté d’action au gouvernement fédéral? C’est l’idée à la mode, et les propositions «audacieuses» ne manquent pas, relayées avec un peu trop d’enthousiasme par «une certaine presse»: supprimer la «formule magique» et désigner une équipe gouvernementale unie sur un programme politique contraignant; augmenter à neuf ou à onze le nombre des conseillers fédéraux; faire élire le Conseil fédéral par le peuple; lui donner la compétence de dissoudre les Chambres; renforcer la fonction présidentielle par rapport au collège fédéral; rendre plus difficile l’exercice du contrôle référendaire, etc. La prétendue audace de ces propositions se limite à piquer à droite ou à gauche des bribes de ce qui se fait ailleurs, sans que cela apparaisse nettement meilleur que ce qui se fait chez nous.

C’est vrai que le système suisse est peu propice à la conduite d’une politique étrangère «active» telle que la pratiquent les Etats qui nous entourent. Mais ce n’est pas par hasard. Cette forme modeste de gouvernement est conforme à la prudence qu’impose le caractère composite et par conséquent fragile de la Confédération. Le statut actuel du Conseil fédéral n’est qu’un aspect de la neutralité suisse. Et la neutralité suisse ne relève pas d’un choix modifiable au gré des circonstances extérieures ou des perspectives «visionnaires» de tel conseiller fédéral. Elle découle de la nécessité première de protéger l’unité de l’alliance fédérale.

Certains jugent que ce raisonnement était recevable autrefois, mais qu’il est dépassé. La Suisse serait désormais unifiée par la centralisation des compétences cantonales et par les changements d’échelle qu’impose la mondialisation. Le réalisme exigerait donc que nous adaptions notre organisation étatique aux nouvelles donnes, c’est-à-dire que nous supprimions les Etats cantonaux au profit d’une nouvelle «Helvétique une et indivisible».

On constate certes, sous les assauts croisés de l’individualisme libéral et du collectivisme socialiste, une dégradation des structures cantonales en même temps qu’une uniformisation des cantons. Mais cela ne suffit pas pour qu’on puisse parler d’un renforcement de l’unité suisse. Pour cela, il faudrait que la Suisse soit unie non seulement par des lois fédérales, mais par des moeurs et une mentalité communes. Il faudrait que sa force politique soit manifestement plus grande aujourd’hui qu’hier. Qui osera dire que c’est le cas? Subissant les mêmes assauts que les cantons, elle n’y résiste pas mieux, c’est le moins qu’on puisse dire. Notre armée ne sait pas trop à quoi elle sert, notre diplomatie est un mélange peu rassurant de hâblerie et de faiblesse, la bureaucratie fédérale est plus tentaculaire que jamais, comme l’a encore montré son récent projet de nouvelle loi sur le développement territorial.

La centralisation législative n’est pas un facteur d’unité, ni l’obésité administrative un signe de santé.

Une Confédération dont les parties s’affaiblissent ne change pas de nature. Elle ne devient pas un Etat unitaire fort, mais une Confédération faible. Les principes fondamentaux qui la meuvent restent ceux qui meuvent une confédération, et en particulier la nôtre: pouvoir originel des cantons, compétences déléguées de la Confédération, neutralité armée…et retenue ciblée du Gouvernement fédéral en matière de politique étrangère. Ce sont ces réalités politiques, même abîmées, qui nous tiennent encore debout.

Au lieu de souffrir de cette situation institutionnelle, au lieu d’essayer de s’y soustraire, le Conseil fédéral devrait l’utiliser et s’y référer constamment pour faire comprendre aux autres Etats qu’il est le répondant d’un ordre interne dont il n’est pas le maître et que sa capacité d’engager la Suisse envers d’autres Etats ou collectivités d’Etats reste strictement subordonnée à la protection de cet ordre.

A l’époque du vote sur l’Espace économique européen, nous n’avons pas assez insisté sur le fait que le résultat négatif avait été accepté par nos ex-futurs partenaires beaucoup plus facilement qu’on nous l’avait annoncé. Ils jugeaient apparemment naturel que la Suisse puisse refuser un accord pourtant prôné, et avec quelle énergie, par tous ses représentants fédéraux.

Les pressions extérieures sur un Etat qu’on veut convaincre font partie du jeu diplomatique ordinaire. Exercées sur un Etat unitaire, elles sont l’affaire du gouvernement et restent en quelque sorte extérieures au pays. En revanche, face à une confédération d’Etats, elles sont ressenties comme des ingérences par les parties fédérées. Et une ingérence appelle un rejet beaucoup plus violent qu’une pression. Cette alchimie fédéraliste renforce indirectement la position du Conseil fédéral. Au lieu de dire à ses partenaires étrangers «je ne veux pas», il peut dire, tout à fait loyalement, «je ne peux pas», faisant référence au désaccord possible des cantons – ou simplement de certains d’entre eux – qui sont les détenteurs du pouvoir originel, comme l’affirme sans ambages la Constitution fédérale actuelle.

L’ego des membres du collège fédéral en prend évidemment un coup. Mais, d’une certaine façon, ils sont plus libres et plus à l’aise quand ils se soumettent aux limites étroites que leur fixe la réalité confédérale que lorsqu’ils s’essaient à un jeu de politique étrangère dont ils n’ont pas les moyens.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Un pas en avant dans la Queston jurassienne – Ernest Jomini
  • Cromlechs (Les Marches du Pays) – Jacques Perrin
  • Quelques réflexions sur l'intégration des handicapés mentaux – Guy Delacrétaz
  • Face au juge, la centralisation défaille – Félicien Monnier
  • Notre flotte et la piraterie – Jean-Baptiste Bless
  • Hommage à Bernard Blatter – Jean-Jacques Rapin
  • De l'amitié entre les chèvres supérieures et les chèvres inférieures – Le Coin du Ronchon