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Notre flotte et la piraterie

Jean-Baptiste Bless
La Nation n° 1863 22 mai 2009
Il a été demandé à la Suisse de participer à la mission ATALANTE. Cette dernière est une mission de police des mers organisée par l’Union européenne, mandatée par l’ONU et appuyée par l’OTAN. Elle vise à protéger le ravitaillement de la Somalie dans le cadre du Programme alimentaire mondial (PAM) contre les attaques des pirates du même pays (!) et, accessoirement, d’améliorer la sécurité du commerce dans le Golfe d’Aden par la présence de navires de guerre. Notre Conseil fédéral, favorable à l’idée d’envoyer un contingent de trente soldats, soutient qu’il en va de notre intérêt puisque la flotte suisse serait menacée. Afin de pouvoir répondre aux questions qui se posent dans ce contexte, nous avons jugé intéressant de réunir quelques éléments factuels.

La piraterie

L’objectif de la susnommée mission est de régler un problème auquel nos médias ont fait sporadiquement écho depuis quelques mois: celui de la piraterie. Le sujet n’est pas nouveau: on trouve déjà mention d’actes de piraterie chez Homère et Thucydide. Plus tard, Jules César lui-même affronte les pirates et c’est finalement Pompée qui deviendra célèbre en nettoyant la Méditerranée de cette plaie flottante (1). Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ce sont les Caraïbes qui sont infestées par les forbans, ainsi que la Méditerranée à nouveau, infestée jusque dans les années 1820 et le débarquement de la France en Algérie (2). De nos jours, la piraterie sévit à différents endroits autour du globe. On en retrouve principalement dans le Détroit de Malacca et la Mer de Chine, sur les côtes nigérianes, que ce soit dans le Golfe de Guinée ou le Delta du Niger, et, justement, dans le Golfe d’Aden et au large de la Somalie. C’est précisément dans cette dernière partie du monde que la recrudescence des attaques est la plus forte et la situation la plus grave puisque des dizaines de bateaux on déjà été attaqués et des centaines d’hommes d’équipage pris en otage. Durant la seule année 2008, le nombre des attaques a augmenté de 200%. Rappelons ici et à titre d’exemple qu’un tiers des approvisionnements européens en pétrole passe par le Golfe d’Aden, puis le Canal de Suez…

Il faut s’entendre: la piraterie a changé d’objectif depuis ce que l’on peut en lire dans les aventures d’Astérix et Obélix. Ce qui intéresse les pirates aujourd’hui lorsqu’ils attaquent un pétrolier ou un vraquier n’est plus le butin, mais bien la rançon qu’ils peuvent obtenir en prenant possession de la coque, de la cargaison et de l’équipage. Des simples pilleurs qu’ils étaient autrefois, les pirates ont repris aujourd’hui les moyens de pression terroristes pour atteindre leur objectif économique.

Ces pirates sont des hommes jeunes, souvent même des enfants. Traditionnellement, c’est la pêche qui les nourrissait, puis ils ont découvert dans la piraterie (de πειράω, «tenter sa chance») une source de revenus autrement plus passionnante, et surtout plus lucrative, puisque les rançons dont on connaît les montants se chiffrent à présent en millions de dollars. L’équipement de ces bandits de haute mer est pourtant des plus vétustes: la plupart du temps, ils attaquent de leurs embarcations de pêcheurs et avec des armes à feu légères uniquement. Parfois, ces mêmes pirates sillonnent la mer sur des corvettes rapides et sont armés de lance-roquettes légers. Il faut souligner que la tendance est clairement à une amélioration des techniques et des moyens mis en oeuvre, notamment grâce aux rançons faramineuses dejà versées.

Dans une situation «idéale», l’abordage se déroulera sans coup de feu et la rançon sera remise au terme de brèves négociations, afin de ne pas risquer la vie d’un membre de l’équipage ni de nuire aux intérêts commerciaux en jeu, colossaux on l’imagine.

Notre flotte

Le non-initié est en droit de se demander en quoi ces problèmes de haute mer concerneraient un petit pays neutre et sans accès direct à la mer (Binnenstaat). En effet, peu de monde savait jusqu’à récemment que notre pays possède depuis quelques décennies une flotte non négligeable. L’histoire de la marine suisse remonte au 21 avril 1940, date à laquelle quinze navires suisses se trouvent bloqués à Madère dans le port de Funchal par l’entrée en guerre de l’Italie. Sur arrêté fédéral, le gouvernement helvétique décide alors de doter la Suisse d’une marine nationale. On est en 1941. En 1953, la flotte passera en mains privées.

De nos jours, la flotte à croix blanche est en ceci helvétique que l’enregistrement des navires battant notre pavillon est soumis à des lois suisses, et donc à des exigences suisses (3). Le registre naval est établi en ville de Bâle. Les bâtiments qui y sont inscrits bénéficient d’un système de garanties fédérales qui assure leur financement à des taux comparativement raisonnables. En contrepartie, la Confédération est autorisée à réquisitionner les bâtiments en temps de guerre pour assurer les besoins de sa population. Le nombre des navires soumis à ce régime se situe quelque part entre trente et quarante et réunit divers types allant du chimiquier au porte-conteneurs en passant par différentes variantes de vraquiers susceptibles de transporter les cargaisons sèches les plus diverses. Leur taille est petite à moyenne pour les standards de l’industrie, les plus importants des bâtiments étant des «Panamax» (les plus gros tonnages susceptibles de passer le canal de Panama), capables de porter plus de 73’000 tonnes de marchandises, équipage, réserves de nourriture et d’eau potable, carburant et ballast compris. Selon diverses sources, la Suisse possèderait la 70e flotte mondiale en terme de capacité de transport.

Voilà pour les faits.

Qu’en est-il maintenant en cas d’attaque par des pirates de l’un de nos bateaux? S’agit-il d’intérêts privés ou de défense nationale? Voulons- nous laisser défendre par d’autres les bâtiments qui battent le pavillon confédéré? Ou les défendre nous-même? Et comment? Tels sont les questions qui se posent à présent. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain article.


NOTES:

1) Lire à ce sujet: La piraterie dans l’Antiquité, de Jules-M. Lestier.

2) L’ouvrage de référence sur la piraterie en Méditerranée a été rédigé par Roland Courtinat: La piraterie barbaresque en Méditerranée: XVIe-XIXe siècle.

3) Pour les détails, se référer à la Loi fédérale sur la navigation sous pavillon suisse et à son Ordonnance.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Les cantons, bouclier du Conseil fédéral – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Un pas en avant dans la Queston jurassienne – Ernest Jomini
  • Cromlechs (Les Marches du Pays) – Jacques Perrin
  • Quelques réflexions sur l'intégration des handicapés mentaux – Guy Delacrétaz
  • Face au juge, la centralisation défaille – Félicien Monnier
  • Hommage à Bernard Blatter – Jean-Jacques Rapin
  • De l'amitié entre les chèvres supérieures et les chèvres inférieures – Le Coin du Ronchon