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De la main invisible

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1864 5 juin 2009
La notion de main invisible est due à l’économiste Adam Smith. L’interprétation qu’on en donne ordinairement est que, si chacun travaille à sa réussite et poursuit égoïstement son propre chemin, tous ces intérêts particuliers épars finissent par s’équilibrer les uns les autres et former un ordre économique et social harmonieux: c’est l’action mystérieuse et discrète de la main invisible. La main invisible apparaît donc comme une sorte de providence immanente dispensant la société politique d’avoir à sa tête une autorité distincte chargée du bien commun.

La théorie smithienne est une arrière- petite cousine de la théorie darwinienne. De même que la lutte de tous contre tous fait progresser l’espèce par la sélection des meilleurs, de même le heurt des égoïsmes individuels engendre l’ordre social.

On retrouve la même idée dans la doctrine libérale moderne – je veux dire dépouillée de ce fond de protestantisme qui lui imposait un certain carcan moral. Et c’est encore cette idée qui inspire ceux qui croient à l’autorégulation du marché dans le cadre de la mondialisation économique.

Or, cette idée ne marche pas. Elle marche peut-être avec l’animal, qui vit dans un monde fermé, déterminé par les seules exigences de sa survie et de celle de l’espèce. Mais elle ne marche pas avec l’homme, dont l’imagination est sans bornes et les appétits sans limites. Laisser les individus à eux-mêmes face à des désirs tôt transformés en besoins puis en droits, c’est créer les conditions certaines d’un chaos social. Il est significatif que la situation économique actuelle soit simultanément celle du marché mondial, champ d’action par excellence de la main invisible, et celle des faillites et escroqueries les plus fabuleuses de tous les temps. Parler d’«ordre mondial» relève de l’aveuglement et de l’irresponsabilité.

Pour subvenir aux insuffisances de la main invisible et mettre un peu d’ordre dans l’exercice de la liberté humaine, la première réaction est de recourir à la contrainte étatique. On va fabriquer des lois pour contenir le débordement des égoïsmes. Cette idée, pour apparemment logique qu’elle soit, ne semble pas très bien marcher non plus. On constate plutôt, chez nous comme ailleurs, que les excès dus à l’individualisme croissent à la même vitesse que les lois censées y mettre bon ordre. L’équilibre semble inatteignable.

Cela s’explique en partie par le fait que la loi, même formulée rationnellement, n’est pas forcément rationnelle dans son origine et ses buts. Elle peut être biaisée par des intérêts, des préjugés idéologiques ou des visées électorales.

Toutefois, le problème principal gît dans la rationalité même de la loi, plus exactement dans le fait que beaucoup de ces lois conçues en réaction au désordre sont uniquement rationnelles: on les a fabriquées comme si l’homme n’était qu’intelligence et volonté, comme s’il n’était pas un être corporel inséré dans une situation concrète, dans une histoire, dans un lieu.

Il faut concevoir l’ordre économique et politique en tenant compte de ce fait que l’homme est en toute chose corps et âme. Insistons: le corps n’est pas simplement un élément ajouté à l’âme, mais une partie de ce composé indissociable qui s’appelle l’être humain.

Ce caractère double fait que le comportement social de l’homme, ses relations avec autrui ou avec l’Etat ne sont mus ni par sa seule animalité, ni par sa seule volonté rationnelle, mais par ce mixte des deux qu’on appelle les moeurs.

Les moeurs sont à la fois particulières dans leur aspect et universelles dans leur fonction. Elles sont sans doute rationnelles, mais aussi chargées de mémoire collective. Elles ont, sur la main invisible, l’avantage de l’efficacité, et, sur les lois hors-sol de la modernité, cet autre avantage d’être accessibles à l’homme le plus simple. Elles imposent à l’individu des contraintes qu’il comprend et que son éducation a faites siennes. Ce sont elles, sous la garde de l’autorité politique, qui jouent ce rôle de ciment social et de pondérateur des appétits qu’Adam Smith attribuait à une main d’autant plus invisible qu’elle n’existe pas. Chaque fois qu’une loi est promulguée qui ne se fonde pas sur les moeurs, c’est un peu d’ordre vrai qui disparaît.

De là notre lutte pour conserver aux Vaudois la maîtrise de leurs lois, c’està- dire la possibilité de les calquer sur leurs moeurs.

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