Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

J’ai pas la motive…

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1867 17 juillet 2009
quelques adolescents discutent dans le bus. L’un d’entre eux raconte qu’il a laissé tomber son apprentissage: «J’avais plus la motive…». un autre arrête le football en invoquant lui aussi cette absence de «motive». ce qu’ils appellent la «motive», c’est l’envie personnelle, la perspective d’un plaisir qui détermine leurs engagements et leurs actions.

On donne aujourd’hui la plus grande importance à ce mouvement intérieur. on considère implicitement que la personne a en elle-même tous les ressorts de l’action, qu’il s’agisse de préparer ses leçons, de jouer dans une équipe de foot, de choisir un apprentissage, de faire son école de recrues, de se marier et d’avoir des enfants ou simplement de se lever tôt pour aller courir dans la nature.

Dans cette perspective, estime-ton, il est vital que la personne prenne conscience de ses désirs. aussi bien, le père et la mère, l’enseignant, l’entraîneur sportif, le patron, l’officier ne sont pas tant des autorités que des révélateurs, ou des animateurs. Leur rôle n’est pas de contraindre l’enfant, le petit footballeur, l’employé, le soldat, mais d’éveiller son enthousiasme, de lui faire comprendre la satisfaction qu’il éprouvera, en un mot, précisément, de le motiver.

Pour des raisons pratiques, la motivation vise toujours les satisfactions immédiates, matérielles ou émotionnelles. L’officier qui veut motiver la troupe ne lui parlera pas de la discipline collective, de la défense armée du territoire ou du sacrifice ultime que le soldat doit à son pays. il insistera plutôt sur l’action humanitaire de l’armée, sur son rôle en cas de catastrophe naturelle, sur le fait que le service militaire est bon pour la santé et que le tir est un «chouette sport». un conseiller de paroisse explique aux jeunes confirmés qu’ils auront du plaisir à venir au culte dominical parce qu’«à la sortie, on rencontre tout plein de gens…». Les entraîneurs de foot ou de hockey motivent leurs équipes en hurlant dans les vestiaires: «vous gagnerez parce que vous êtes les plus forts! vous êtes les plus forts? – oui! – Plus fort!... – ouaiiiis!!… – J’entends rien! etc…».

La distance n’est pas grande entre la motivation et la mise en condition, voire la manipulation. c’est pourquoi l’effet de la «motive», même puissant, est généralement de courte durée. il suffit que le plaisir soit moins intense que prévu, que l’envie disparaisse ou que l’excitation retombe pour que la personne passe à autre chose. elle le fera d’autant plus aisément qu’en prévision inconsciente d’une telle situation, elle s’est gardée de s’engager trop à fond.

Peut-être est-ce dans cet esprit que beaucoup de jeunes sont rétifs à l’idée de s’engager dans une formation professionnelle longue ou de passer du concubinat au mariage. n’est-ce pas la peur de se réveiller un matin en ayant perdu la «motive»… tout en étant, par l’effet de contraintes extérieures, forcé de continuer? Pour quelqu’un qui dirige sa vie en fonction de ses «motives», forcément fluctuantes, tout engagement à long terme est pour le moin avantureux.

La substitution de la «motive» à l’autorité ne rend pas forcément plus libre, ni plus maître de soi. D’une certaine manière, la personne se trouve enfermée en elle-même, libre surtout de céder à ses pesanteurs: «chuis hypermotivé pour rester au lit…». a coups d’appels téléphoniques envoyés ou reçus, elle modifie trois ou quatre fois l’organisation de son samedi soir. son avenir, notamment professionnel, dépend à certains moments sensibles d’une déprime printanière, d’un lendemain d’hier, d’un simple caprice.

Les adultes qui, sous prétexte de respecter sa personnalité profonde, renvoient l’adolescent à ses seules motivations personnelles placent en réalité un poids écrasant sur ses épaules. ils négligent ce fait capital que nos choix, même les plus personnels, se font pour une part importante selon des critères fixés par le monde extérieur, les institutions, les groupes sociaux. animaux sociaux, nous ne sommes pleinement nous-mêmes qu’en reconnaissant l’existence et l’importance de ces critères.

La «motive» exprime notre adhésion intime à ce que nous faisons. rien à dire à cela. Mais il faut la relier à des finalités plus stables et durables que le plaisir immédiat. il faut l’étendre à nos intérêts à long terme, notamment professionnels et familiaux, puis aux communautés dont nous faisons partie et qui attendent que nous y jouions notre rôle. Les deux sont d’ailleurs étroitement liés.

C’est ce lien contraignant avec l’extérieur qui nous permet d’être libres à l’égard de nos faiblesses, de conserver la ligne dans les moments de doute, d’accepter la frustration du plaisir retardé, de passer sans encombre les matins où la «motive» n’y est pas. Le plaisir ne disparaît pas pour autant. simplement, il n’est plus notre raison première d’agir. il persiste comme un effet de nos actions, une manifestation intime de leur sens et de leur achèvement.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • D'Artagnan, un choix politique – Pierre-Gabriel Bieri
  • Gilles avant Gilles – La page littéraire, Yves Guignard
  • Affaire Windisch – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • A-t-on vraiment besoin d’une banque postale? – Vincent Hort
  • Genèse du principe du Cassis de Dijon – Félicien Monnier
  • Grelottez et signez! – Le Coin du Ronchon