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Caresses

Jean-François Cavin
La Nation n° 1872 25 septembre 2009
Un nouveau métier est né. Pas à la pointe de la technique ou de la mode: ni neuro-électronicien du cerveau, ni spatio-météorologue, ni écolo-psychiatre. Bien plus simple, bien mieux: caresseur de chat. La nouvelle est tombée le 16 juin dans 24 heures. On y lisait que la Société protectrice des animaux engage de tels collaborateurs, que cette activité est en tous cas d’ores et déjà exercée au refuge de Lully (FR) par Mme Marinette Jaquier, laquelle assure que «ce n’est que du bonheur» et que ces séances lui font autant de bien qu’à l’animal. Voilà donc trois mois que je… caresse le projet de commenter cette information comme elle le mérite. Mais l’actualité nationale avait d’autres urgences, ainsi que l’insaisissable calendrier du vacancier perpétuel.

Un nouveau métier? Précisons d’emblée qu’on ne peut pas (ou pas encore) saluer une avancée sur le front de l’emploi. L’activité, pour l’heure, reste bénévole. Mais qui sait, peut-être sera-t-elle reconnue demain par le Secrétariat d’Etat à l’économie. Pourquoi l’Etat-providence ne deviendrait-il pas, d’un seul coup, la providence des chômeurs et des chats?

La caresse confère au chat la plénitude de son être. Chaque animal s’accomplit selon sa nature. Le chien est fidèle, comme on le voit à son regard humide attendant le bon vouloir du maître et à son obstination à chercher cent fois le même bâton lancé à trente mètres, sur quoi il revient au pied. Le loup mange le mouton. Le silure traîne sa moustache dans la pénombre de fonds vaseux. Le papillon fragile doit rester intact pour vivre toute sa vie dans l’éclat d’un seul jour. La vache est laitière (et ferroviaire entre deux traites). Le hérisson n’est pas fait pour la caresse. Le chat, si.

L’anatomie du chat est totalement dédiée à la caresse. Le dos, plus ou moins arqué selon ses caprices vertébraux, appelle un geste doucement ondulant, qu’on peut prolonger depuis l’échine, les doigts plus serrés, en filant la queue jusqu’à son extrémité (sans la tirer, pas de traîtrise s’il vous plaît). Entre les oreilles, le sommet plat du crâne offre un petit espace à l’exacte mesure de l’index et du majeur réunis. Vous pouvez aussi passer une pleine main du museau à l’encolure, dans une pression forte et affectueuse, qui clôt les yeux du félin et lui colle les oreilles aux tempes; mais cette manipulation exige une familiarité avancée. Quand le chat est en confiance, il se roule sur le dos en attendant qu’on lui chatouille le ventre et les aisselles, secrètes et tièdes; il y trouve apparemment une grande jouissance; mais attention, comme chez l’homme, la félicité peut réveiller soudain l’agressivité; gare à la griffe! Les caresseurs professionnels éviteront ce péril.

Le pelage du chat est généralement doux et d’un contact enchanteur. Avec des variations tout de même: on connaît des matous au poil rêche, pas seulement parce qu’ils se sont enduits de saleté en se roulant dans le stupre. A l’inverse, des angoras sont nimbés d’une vapeur bleutée si légère qu’elle s’accroche à vos doigts. Des persans au poils ras sont revêtus d’une robe compacte bien adaptée à la dureté de leur regard. Notre chère Biscotte était gratifiée d’une fourrure extraordinairement soyeuse; pour en avoir offert inlassablement la douceur à sa maîtresse, jusque dans la maladie et le chagrin, elle mérite d’entrer nommément, grâce à La Nation, dans la littérature animalière vaudoise.

Le métier de caresseur a de l’avenir, en fonction non seulement du bien-être des félidés, mais aussi des attentes de l’espèce humaine. Au physique, bien sûr, mais ce n’est pas notre propos dans ces colonnes orientées de préférence vers la vie de l’esprit. Au moral donc, hommes et femmes apprécient toujours un geste de chaleureuse admiration, notamment qu’on leur passe la main dans les cheveux. Les humbles y trouvent un peu de reconnaissance, les hésitants de l’assurance, les vaniteux la confirmation de leur valeur supposée. Les politiciens s’en réjouissent particulièrement, étant en butte à la critique d’une opinion toujours insatisfaite et à l’ingratitude de la république; dans une flatterie occasionnelle, ils puisent un bienfaisant réconfort.

Ils ne sont pas les seuls à en bénéficier: les caresseurs aussi. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le comportement de la presse face aux innombrables candidats à la succession de Pascal Couchepin. Nos rédactions les ont tous caressés dans le sens du poil, même les plus obscurs, les plus ternes, les plus inaptes, les plus dénués de chances. C’est qu’au creux de l’été, il fallait bien animer la compétition pour créer l’événement. Ecrivant cela, je ne suis pas tendre envers les journaux; mais on ne caresse pas les canards.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
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  • La journée de l'écolier – Micheline Félix
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  • J'ai fait un rêve – La page littéraire, Daniel Laufer
  • De la défense du fédéralisme (fusil à la main) – Pierre-François Vulliemin
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  • Identités cantonales: l'exemple du loto – Félicien Monnier
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