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Suivi du Cassis-de-Dijon

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1905 31 décembre 2010
Si La Nation met beaucoup d’énergie à étudier les futurs articles constitutionnels et lois qui lui paraissent menacer les souverainetés cantonales, le temps et les instruments lui manquent regrettablement pour étudier les effets concrets de l’application des textes entrés en vigueur.

La mise en oeuvre du principe du Cassis-de-Dijon nous en fournit l’occasion. Selon ce principe, tout produit fabriqué dans l’un des vingt-sept Etats membres de l’Union, ou simplement décrété par lui conforme à ses propres normes, est présumé conforme aux normes des vingt-six autres Etats et peut librement circuler sur leur territoire.

La conseillère fédérale Doris Leuthard avait décidé que la Suisse se soumettrait à ce principe. Son but avoué était d’obtenir des baisses de prix sur les aliments. Elle annonçait sans sourciller – d’ailleurs elle ne cille ni ne sourcille jamais – un gain de deux milliards pour le consommateur suisse. Les Chambres fédérales, fascinées par son oeil méduséen, ont suivi.

Décision unilatérale: l’Union ne nous avait rien demandé. La dame n’a d’ailleurs même pas essayé d’obtenir la moindre contrepartie pour cette ouverture de nos frontières à nos partenaires européens. C’est que Mme Leuthard est une économiste audacieuse. Un peu irréfléchie aussi, ne s’étant pas rendu compte que tout se tient, que tout consommateur est aussi un travailleur qui vit du fait que d’autres consomment le produit de son travail, et qu’une baisse massive des prix serait inévitablement accompagnée par une baisse non moins massive des salaires.

Conscients de l’absurdité aussi bien économique et écologique que politique du raisonnement leuthardien, nous avions lancé un référendum parallèle à celui de M. Willy Cretegny. Comme nos lecteurs se le rappellent, nous n’avons pas réussi à récolter les cinquante mille signatures nécessaires.

Les milieux paysans ou proches des paysans ou prétendument favorables aux paysans avaient commencé par toussoter. Puis ils ont demandé à la Confédération qu’elle impose aux produits importés en vertu du Cassis qu’ils indiquent leur provenance et que l’Office fédéral de la Santé publique s’assure qu’ils ne menacent ni la santé des consommateurs ni l’environnement. L’ayant obtenu, ils ont jugé plus «politique» de se conserver pour la lutte contre l’Accord de libre-échange agricole (ALEA), dont le Cassis-de- Dijon nous offre le répugnant avantgoût. Cette abstention blâmable nous a privés des mille cinq cents voix qui manquaient pour faire aboutir le référendum.

En fait, il semble qu’il n’y a eu baisse de prix que là où il y a eu baisse de qualité. La presse a abondamment parlé d’un jambon autrichien gorgé d’eau, d’un fromage râpé allemand bourré d’amidon, d’une limonade italienne vitaminée à la taurine, d’un sirop de framboise français contenant trois fois moins de jus de fruit que ne le prévoit notre législation et d’un cidre danois contenant cinq fois plus d’eau.

Et nous n’avons encore rien vu! On peut s’attendre à voir arriver des produits fabriqués en Chine, déclarés conformes aux normes bulgares par un fonctionnaire ivre ou corrompu, ayant transité par l’Autriche et l’Italie, avec deux changements d’emballage, avant d’être sommairement estampillés «FR» à nos frontières, et proposés par nos grandes surfaces comme des produits conformes aux normes suisses.

Les grands distributeurs se plaignent de ce que l’obligation d’indiquer la provenance les contraint à changer l’emballage. Cela engendre des hausses de coûts telles que Migros, par exemple, a décidé de fabriquer elle-même son sirop de framboise selon les recettes minimalistes du producteur français. Ça s’appelle «M-classic». On a les classiques qu’on peut! L’économie de marché selon Mme Leuthard: on paie un peu moins cher des produits vraiment moins bons.

Désormais, dissimulés sous la même appellation, des produits étrangers de piètre qualité livrent une concurrence déloyale aux producteurs suisses, qui, pour survivre, se verront contraints d’abaisser eux-mêmes la qualité des leurs.

Bientôt, Economiesuisse ou Xavier Comtesse ou quelque autre think tank accro à la pensée néo-libérale «découvrira» que les contrôles de qualité, qui avaient permis de calmer les appréhensions des milieux paysans à l’égard du Cassis-de-Dijon, nuisent à un véritable libre-échange et portent atteinte à la pleine liberté de choix du consommateur. Ils exigeront, sous l’oeil atone des socialistes, qu’on supprime ces contrôles d’un autre âge.

Toutes nos prédictions s’avèrent… sauf que c’est encore pire. Le bilan de Mme Leuthard dans cette affaire est entièrement négatif. Françoise Giroud avait coutume de dire que l’égalité entre les hommes et les femmes serait atteinte lorsqu’on nommerait des femmes incompétentes à des postes essentiels. Pour le Conseil fédéral, je crois qu’on y est.

M. Mathieu Fleury, secrétaire de la Fédération romande des consommateurs, avait manifesté un obscène soulagement à l’annonce de l’échec de l’action référendaire. Aujourd’hui, il se lamente sur la qualité perdue et annonce qu’il fera tout pour éviter le pire, qui serait que la qualité baisse, mais pas les prix. L’Union suisse des paysans a lancé pour sa part des recours contre les autorisations accordées par l’OFSP au jambon mouillé des Autrichiens et au fromage empesé des Allemands. Tout ceci est bel et bon, mais ces gens sans imagination se seraient évité bien des soucis en soutenant le référendum, c’est-à-dire en intervenant avant que le loup n’entre dans la bergerie.

La question se pose: ne serait-ce pas l’occasion pour les milieux paysans de reprendre la main et d’étouffer l’ALEA dans l’oeuf en lançant une initiative pour abroger le Cassis-de-Dijon?

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