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Portrait d’Eric

Jean-Blaise RochatLa page littéraire
La Nation n° 1905 31 décembre 2010
Le dernier livre d’Eric Werner, je l’ai abordé avec curiosité et appréhension, car il est périlleux de parler d’un auteur que l’on connaît personnellement, surtout s’il se livre à des confidences intimes. Ici, elles se présentent sous la forme de fragments autobiographiques comme improvisés, mais dictés par une nécessité intérieure. Tout au long du récit, la qualité du propos est garantie par cette urgence: le livre devait être écrit.

Le point de départ de cette confession est une huile de Joseph Czapski, peintre et écrivain polonais (1896-1993) qui a fait, en 1971, le portrait d’Eric Werner en jeune philosophe méditatif adossé à un très haut miroir. Rebutée par son sujet pendant vingt ans, l’oeuvre est enfin redécouverte par le regard neuf d’Eric, qui en fait le déclencheur d’un voyage rétrospectif où sont évoqués sa conversion au catholicisme, son retour au protestantisme, ses difficiles mais fécondes relations avec son père, son parcours politique (plus éthique que politique, d’ailleurs), les affaires Jousson et Paschoud, enfin son amour pour Rousseau.

La figure de Jean-Jacques dirige secrètement la vie d’Eric Werner, jusque dans le choix récent de sa résidence, non loin du site de la Nouvelle Héloïse. Ainsi le livre s’inscrit-il dans la filiation de ceux d’autres écrivains «lémaniques», irremplaçables poètes du for intérieur. A Rousseau on ajoutera Amiel, Borgeaud, et aussi le Senancour d’Oberman. Eric Werner partage avec ses aînés une sensibilité exacerbée, de l’indécision, un goût parfois morbide pour l’introspection, la recherche des consolations offertes par la nature, une sensualité diffuse et mélancolique… Est-ce la beauté du paysage jointe à la douceur du climat qui favorise ces propensions? La plume d’Eric Werner est plus celle d’un fin lettré que d’un philosophe.

Les termes qui qualifient le mieux ce récit sont l’honnêteté et la candeur: «En 1970, j’avais trente ans, mais j’étais loin encore, contrairement à ce que je pensais peut-être à l’époque, d’avoir atteint l’âge adulte. J’étais encore en pleine adolescence. Je ne l’ai atteint, l’âge adulte, si tant est que je l’aie jamais atteint, que beaucoup plus tard. Mais comme la phrase que je viens d’écrire le montre bien, je ne suis pas même sûr de ce que je dis ici.»

Il y a beaucoup d’émotion retenue dans les confessions de leur auteur. Dans un style généralement limpide s’insèrent de nombreuses parenthèses, des expressions récurrentes souvent superflues, ou chargées d’atténuer la portée du propos: «En fait», «à vrai dire», «en tout état de cause», «je pense», «toutes choses égales», etc. Ce qui serait lourdeur chez d’autres auteurs est ici l’expression du scrupule et de l’hésitation. Si le style c’est l’homme même, selon la formule de Buffon, il y a un style Werner composé de toutes ces précautions qui sont la marque de sa délicatesse d’âme.


Référence: Eric Werner, Portrait d’Eric, Vevey, Xenia, 2010, 141p.

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