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Un catalogue raisonné de l'œuvre peint de Félix Vallotton

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1767 16 septembre 2005
Ceux de nos lecteurs qui ont eu le plaisir d’admirer à Berne ou à Martigny l’exposition sur les Couchers de soleil de Félix Vallotton seront sans doute heureux d’apprendre (si ce n’est déjà fait) la récente publication d’un catalogue raisonné de tout ce que l’artiste lausannois a peint (1). Répondant à l’intérêt grandissant chez le public et les spécialistes, cet imposant ouvrage en trois volumes larges de 30 cm se propose d'examiner la peinture de Vallotton (vol. I) et de décrire systématiquement chacun de ses tableaux (vol. II et III). Saluons d’emblée le travail de Marina Ducrey, qui a repris et achevé la longue tâche de recensement entreprise par les héritiers lausannois de l’artiste. Mais ce catalogue n’aurait pas le même intérêt s’il n’était présenté de manière aussi exhaustive et riche d’informations en tous genres. Ainsi le premier volume débute par une biographie qui reprend la vie de Vallotton année par année (sans oublier les arbres généalogiques). Ensuite sa peinture elle-même est explorée selon un classement par thèmes: Portraits; Nus; «Grandes machines», mythologies et allégories; Les intérieurs; Vallotton et la femme; Natures mortes; Paysages. On reconnaît là l’ambition de Vallotton d’être un artiste complet, capable de traiter tous les genres. Un graphique montre même quels genres ont été le plus traités à quelle période de sa vie.

Le point de vue technique n’est pas négligé: le chapitre «Matériaux et techniques» analyse en détail la manière de travailler du peintre, les différents supports, etc. Par exemple, nous pouvons découvrir l’huile sur carton Le grand nuage décomposée selon ses phases successives d’élaboration (2). Une partie non moins intéressante du volume a pour objet les signatures et timbres de Vallotton, où l’on voit que sa signature a varié considérablement avant de se stabiliser vers 1901. Les chapitres suivants nous plongent directement dans le contexte historique de son œuvre, puisque l’un traite en détail des «Marchands, collections et musées», l’autre montre «Vallotton sous le feu de la critique» en citant les réactions très diverses de ses contemporains. Le volume contient encore une bibliographie fouillée, répertoriant notamment tous les écrits de Vallotton (en plus de ses articles sur l’art et de trois romans, on apprend qu’il avait composé de nombreuses pièces de théâtre inédites). De plus, l’index des œuvres et celui des collectionneurs, galeries et musées permet de localiser les productions de manière fort exacte. Mais l’application et le professionnalisme de ce catalogue raisonné apparaissent clairement dans le fait que le Livre de raison (carnet dans lequel l’artiste avait minutieusement répertorié chacune de ses œuvres) a été reproduit en photos couleur, page par page. Chacun peut donc consulter cet inventaire personnel comme s’il avait l’original devant soi.

Les volumes II et III, couvrant les périodes de 1878-1909 et 1910-1925 contiennent le catalogue raisonné proprement dit, où les peintures sont cataloguées selon l’année de création. Chaque notice contient une reproduction de l’œuvre (le plus souvent en couleur) ainsi qu’un éventuel commentaire et indique sa provenance, les expositions où elle a été montrée, sa mention dans le Livre de raison, etc. Encore une fois nous ne pouvons qu’admirer la qualité d’un catalogue qui, ne serait-ce que par la taille des reproductions, permet à chacun d’apprécier la peinture de Félix Vallotton dans son ensemble. Si l’on peut regretter une chose, c’est que le prix de cet ouvrage le mette hors de portée des bourses moyennes. Espérons que, comme le souhaitent les auteurs, le nouveau catalogue raisonné stimule l’intérêt pour ce grand artiste et attire l’attention des chercheurs sur les nombreux aspects de sa peinture qui méritent d’être étudiés.

Comme nous l’avions mentionné dans notre dernier article sur l'exposition des Couchers de soleil (La Nation N° 1746, novembre 2004), l’on s’est parfois demandé ce qui faisait le caractère vaudois de la peinture de Félix Vallotton – à supposer qu’il y en eût un. Une personne de notre connaissance avait risqué l’interprétation suivante: «C’est dans son rapport aux femmes.» Or quel est ce rapport? Nous ne résistons pas à citer une lettre de l’artiste reproduite dans le catalogue (3) où il s’exprime justement sur le rôle ambigu de la femme: «(...) Je crois néanmoins – d’une façon générale – que l’influence personnelle de la femme sur l’artiste est des plus redoutables, celle-ci n’appréciant guère que les résultats matériels, et demeurant fermée, de par son sexe à tout ce qui constitue l’effort, la tension au mieux et tous les désintérêts que cela comporte.

Par contre, si une femme est dangereuse, beaucoup de femmes peuvent être utiles et bienfaisantes; le chaos de leurs goûts si mêlés, de leurs volontés dissemblables, le contraste de leurs types, de leurs gestes, et de leur humeur sans cesse en mouvement, le tapage gentil qui en résulte peuvent, avec les mystérieuses effluves issues de leurs personnes, et parfois même les parfums dont elles se gâtent, créer une sorte d’atmosphère pleine de doute et de sensualité dans quoi l’imagination de l’artiste se complaît et macère souvent avec fruit.

Pour ce qui est des droits à leur reconnaître, je ne suis hostile à aucun, et mon désir serait de les leur donner tous, l’expérience en vaudrait la peine, et cela liquiderait la question. – Je crains cependant que l’ère féminine de l’humanité, – j’entends par là celle de la domination de la femme sur l’homme, car la nature ne comporte pas l’égalité, mais le triomphe du fort sur le faible – je crains dis-je que cet état qui semble le but de toutes les revendications féminines, ne soit pour le monde l’occasion de carnages, d’infamies et de férocités auprès de quoi les massacres raisonnables d’antan ne seront que des idylles.»

Le lecteur jugera si cette vision est représentative de l’esprit vaudois.

Quoi qu’il en soit, l’ironie qu’expriment ces lignes faites d’une sorte de résignation amusée ne nous semble pas étrangère au Pays de Vaud.


NOTES:

1) Marina Ducrey (avec la collaboration de Katia Poletti), Félix Vallotton 1865-1925. L’œuvre peint, Zurich/Lausanne/Milan, Institut suisse pour l’étude de l’art, Fondation Félix Vallotton, 5 Continents Editions srl, 2005.

2) Vol. I, p. 202-203.

3) Ibid., p. 144-145.

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