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Une béquille efficace

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1767 16 septembre 2005
Une confédération n’est en principe composée que de ses parties. Ce n’est pas le cas de l’Etat fédératif de 1848. Ce système panaché de démocratie directe et de centralisme engendre et nourrit un pouvoir fédéral distinct des cantons, qui se développe de façon autonome, poursuit son propre intérêt et considère toute chose d’un point de vue unitaire.

On pense trop souvent que le Conseil des Etats, «chambre des cantons», a pour but de contrebalancer le développement de cette excroissance centralisatrice, chaque conseiller étant là pour défendre la position de son canton. Ce n’est pas ce que prévoit la Constitution fédérale, qui stipule à son article 161 que «les membres de l’Assemblée fédérale votent sans instructions». De plus, la perspective des élections fait que les conseillers aux Etats, tout autant que les conseillers nationaux, font passer leur parti, leurs idées et leurs visées électorales personnelles bien avant l’autonomie de leur canton.

L’absence de représentation des cantons comme tels sur le plan fédéral appelait un correctif. L’Etat fédératif boiteux avait besoin d’une béquille. Apparut alors la Conférence des gouvernements cantonaux. Créée en 1992 dans la perspective d’une contribution cantonale à la politique européenne de la Confédération, elle a survécu à l’échec de l’EEE. Elle fut à l’origine du premier référendum jamais lancé par des cantons. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître, puisque le référendum aboutit et que le paquet fiscal contesté fut rejeté en votation populaire.

On pourrait craindre que cette institution, pour l’heure très légère, ne se bureaucratise, ne s’affranchisse peu à peu des gouvernements cantonaux pour se rapprocher de l’administration fédérale et ne finisse par travailler main dans la main avec elle, au détriment des cantons. Elle deviendrait alors un facteur supplémentaire de centralisation. L’idée de créer une «Maison des cantons» dans la ville fédérale pour l’abriter renforce cette crainte. Toutefois, la Conférence ne prend position que si elle représente l’avis d’au moins dix-huit cantons. A défaut du principe d’unanimité, qui serait souhaitable, cette exigence élevée témoigne du désir des Etats cantonaux de conserver la maîtrise. Mais ils ne le feront qu’en veillant constamment au grain, tant est forte la propension de toute administration à viser avant tout sa conservation, son accroissement et son autonomie. De toute façon, cela va sans dire mais encore mieux en le disant, chaque canton reste libre de prendre publiquement une position différente.

Une autre crainte serait que la Conférence devienne un tremplin à l’usage de politiciens désireux de faire une carrière fédérale. Pour l’heure, les partis et leurs jeux électoraux prennent peu de place dans la Conférence. Celle-ci a explicitement refusé de faire cause commune avec les partis politiques opposés au paquet fiscal: «Lorsque nous avons lancé le référendum en juin 2003, nos motivations étaient bien de poser le débat uniquement en termes de fonctionnement des institutions et d’autonomie financière des cantons» déclarait M. Luigi Pedrazzini (1), conseiller d’Etat tessinois, alors président de la Conférence. Ces propos avaient été repris par le conseiller d’Etat vaudois Pierre Chiffelle. La Nation avait alors émis quelques doutes et demandé, comme preuve de la bonne foi des référendaires, qu’ils remettent en cause l’article constitutionnel sur l’harmonisation fiscale lui-même et pas seulement les inconvénients financiers qui en découlaient pour les gouvernements cantonaux.

Mais nous avons dû reconnaître le fait incontestable que la Conférence a rendu une existence politique aux cantons. Aux Une béquille efficace yeux des autorités fédérales, aux yeux de la presse, à leurs propres yeux, les Etats cantonaux sont redevenus des réalités avec lesquelles il faut compter. C’est un apport d’une valeur inestimable.

On a parlé de «lobbying des cantons». La formule est ambiguë. Les cantons ne sont pas des «communautés intermédiaires», dont la Conférence représenterait les «intérêts particuliers» face à l’intérêt général incarné par la Confédération. Penser ainsi, ce serait attribuer le pouvoir principal à la Confédération et faire des cantons des émanations de celle-ci. Or, en Suisse, c’est l’inverse. Le pouvoir politique originel est détenu par les cantons, non par la Confédération. Les cantons sont les fondateurs de la Confédération. Comme tels, ils tiennent à contrôler de plus près le fonctionnement de cet organe fédéral à qui ils ont expressément délégué les tâches qu’il doit accomplir et auxquelles il doit se limiter. C’est dans la perspective de ce contrôle renforcé qu’il faut comprendre le rôle de la Conférence.


NOTES:

1) Auteur de réflexions fédéralistes de très bonne venue dans le Rapport 2004 de la Conférence des gouvernements cantonaux.

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