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Déflation?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2004 31 octobre 2014

A deux reprises cet automne, M. Thomas Jordan, président du directoire de la Banque nationale suisse (BNS), a mis en garde contre le risque de déflation. C’est pour le moins inhabituel chez nous: on n’a probablement rien entendu de tel depuis les années trente du siècle passé et bien rares sont ceux qui se rappellent le temps où la paie était revue à la baisse. Il n’est donc pas inutile de rappeler où réside le danger.

La déflation est une diminution généralisée et persistante des prix à la consommation, due à une baisse de la demande (ou à un gonflement de l’offre, mais c’est rare à large échelle). Le risque est que s’enclenche un cercle vicieux: anticipant la chute des prix, les consommateurs diffèrent leurs achats, espérant débourser moins demain et encore moins après-demain; les stocks s’accumulent chez les vendeurs et les producteurs, qui baissent encore leurs prix et réduisent la fabrication, licencient donc du personnel, ce qui accroît le chômage et pèse d’autant plus sur la demande.

Il semble qu’on soit éloigné, en Suisse, de ce sombre tableau. Il y a surproduction de porc et fléchissement des ventes de véhicules neufs, peut-être aussi d’autres biens de consommation. Mais le chômage reste très faible; l’exportation reste vigoureuse; on ne peut pas dire qu’il y ait excès de logements sur le marché (sauf les propriétés à prix de fou) ni surabondance d’infrastructures publiques; et quand le bâtiment va… Mais ne jouons pas les prophètes, car le risque de déflation tient surtout à la psychologie du public, largement imprévisible.

On est donc reconnaissant à la BNS d’envisager ce scénario et de se préparer à réagir si une revalorisation interne de notre monnaie entraînait la hausse de son cours. Mais pour l’heure, il n’est pas interdit de se féliciter de l’absence d’inflation. Depuis 2008, nous connaissons une stabilité des prix presque complète, sans exemple depuis des décennies; plus de six ans où un franc reste un franc, c’est assez pour en tirer quelques remarques.

D’abord ceci: cette longue période sans montée des prix n’a pas freiné le dynamisme de notre économie. Or pour certains, un renchérissement modéré (2 à 3 %, le FMI a même prôné 4 %) favoriserait la prospérité en stimulant l’investissement à crédit (on remboursera en monnaie moins lourde) et la consommation générale (mieux vaut acheter aujourd’hui que plus cher demain). L’inflation, même si elle n’est pas le moteur de l’économie, mettrait dans ses rouages une huile indispensable. Il est vrai que, allégeant les dettes et gonflant en apparence les sachets de paie, elle crée un délicieux vertige; mais les années que nous venons de vivre montrent qu’une économie saine – peut-être dans des conditions favorables – accomplit de belles performances sans recourir au dopage.

Lequel présente d’ailleurs quelques dangers, en économie comme en sport: il ronge l’épargne et fragilise les rentes, car les taux d’intérêt ne suivent pas forcément la majoration de l’indice des prix: rappelons-nous de longues périodes où le rendement réel des comptes en banque était négatif (mais le fisc se servait quand même sur le rendement nominal); il déséquilibre le deuxième pilier; il pousse vers le haut le taux hypothécaire et fait exploser les loyers; plaçant les négociations salariales et les revendications sociales dans un climat d’impatience, il génère une sorte de fièvre collective assez pernicieuse.

Qui donc regrette le temps de l’inflation? Bien avant que la BNS allume son clignotant, des politiciens du monde occidental sonnaient l’alarme anti-déflationniste: en avril, les ministres des finances du G20; en juillet Mme Lagarde; durant l’été, d’autres responsables des budgets publics, particulièrement en France. On les comprend: les seuls vrais bénéficiaires de l’inflation, ce sont les Etats surendettés qui profitent de la progression à froid des impôts et espèrent rembourser leurs créanciers en monnaie de singe.

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