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Le «principe» de la libre circulation

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2074 7 juillet 2017

On parle beaucoup du «principe» de la libre circulation. Et à la réflexion, c’est bien ce qu’elle est devenue aux yeux des autorités fédérales, des milieux économiques et de la presse: une référence incontestable qui oriente toute notre politique européenne. On l’a vu lors du débat parlementaire sur la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse. Les Chambres ont carrément placé la libre circulation au-dessus de la volonté du peuple et des cantons, au-dessus de la Confédération et de ses intérêts politiques à long terme, au-dessus, aussi, des usages et de la bonne foi.

La libre circulation des travailleurs, des biens, des services et des capitaux, la formule le dit, est un principe économique – pertinent ou non, c’est une autre affaire. On en a fait un principe politique, pour ne pas dire métaphysique. Cette inversion des priorités soumet notre politique étrangère à une perspective aveuglément économique.

C’est une confusion dangereuse, car, au contraire de la prospérité, qui va et qui vient, les abandons politiques sont irréversibles. La souveraineté perdue l’est pour toujours.

La politique est première et doit être conduite selon des principes constants qui sont d’ailleurs, mutatis mutandis, ceux de tous les Etats du monde: l’indépendance de la Confédération, la neutralité armée, la paix confédérale, l’intégrité des territoires cantonaux, la protection des droits et libertés des nationaux, le fédéralisme.

L’Etat doit bien entendu intégrer l’économie dans ses appréciations et décisions, mais pas au point d’y sacrifier les fondamentaux de la politique.

De plus, de nombreuses réalités autres qu’économiques, des réalités sociales, morales, culturelles ont leur place dans la composition du bien commun. Cela peut amener le gouvernement à restreindre l’ouverture des frontières ou à recadrer l’une ou l’autre liberté économique.

En ce sens, l’Union démocratique du centre a raison de mettre en question le dogme de la libre circulation. Mais l’initiative qu’elle prévoit de lancer en fin d’année doit tenir compte de l’expérience douloureuse du 9 février.

Le parlement fédéral, on l’a vu, fera tout pour maintenir tel quel l’accord sur la libre circulation. Les auteurs de l’initiative doivent s’attendre à toutes sortes d’acrobaties juridiques, logiques et rhétoriques. Le conseiller national zuricois Gregor Rutz annonce certes un texte «impossible à contourner». Mais c’était déjà l’ambition de l’initiative sur l’immigration de masse. Si serré que soit un filet normatif, il y reste toujours des interstices par lesquels une interprétation spécieuse peut se glisser.

Une initiative qui prévoirait simplement la dénonciation de l’accord n’a guère d’avenir: le parlement fédéral lui substituerait illico un nouveau texte à peu près identique. On pourrait espérer y obvier en inscrivant dans la Constitution une interdiction de principe de tout accord sur la libre circulation. Pour la contourner, le législateur n’aurait qu’à compléter la disposition d’un alinéa prévoyant une ou deux exceptions, d’apparence assez bégnignes pour passer sans encombres le vote du souverain.

Inutile aussi d’essayer de contraindre le Conseil fédéral à renégocier un traité qu’il ne veut pas renégocier. L’initiative sur l’immigration lui en faisait déjà le devoir: en trois ans, il n’a pas bougé. Dans le meilleur des cas, il négociera mal.

On peut d’ailleurs se demander s’il est conforme à l’esprit des institutions de recourir à la Constitution pour imposer au gouvernement fédéral une action circonstancielle ou pour lui lier les mains dans un domaine qui reste, fondamentalement, le sien.

Il faut encore examiner les conséquences possible de l’initiative sur la démocratie directe comme telle. Cet outil populaire est plus fragile qu’on ne le croit. Il est contraire à l’esprit de la démocratie parlementaire. L’administration fédérale et les élus sont à l’affût de toutes les occasions pour en limiter la portée et l’usage.

Pour rester dans notre sujet, le lancement de l’initiative trop ambitieuse contre l’immigration de masse, son acceptation inattendue et sa mise en œuvre scandaleuse, l’initiative «RASA», revenant, contrairement aux usages, sur un vote tout frais, le vote prochain sur l’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», sans parler de l’initiative lancée il y a un mois par un semi-dissident de l’UDC pour l’embauche prioritaire des résidents suisses, ces salves constitutionnelles incessantes donnent de la démocratie directe une image profuse et confuse, bourrative pour tout dire. Le citoyen moyen se lasse de voter sur ce qui lui semble être toujours le même sujet. Il a tort, mais c’est un fait. Tout lanceur d’initiative doit savoir qu’il risque d’aggraver encore la lassitude du corps électoral.

Le Centre Patronal avait développé à l’époque l’idée d’inscrire une clause de sauvegarde permanente dans la Constitution. Il s’agissait de fixer chaque année un plafond d’immigration. Les ressortissants de l’UE jouiraient de la libre circulation jusqu’à un palier à partir duquel cette clause serait enclenchée. Une fois le plafond atteint, plus personne ne serait autorisé à immigrer jusqu’à la fin de l’année. M. Blocher semblait favorable au principe. Il serait opportun d’y revenir et de l’approfondir.

Il faudrait que l’initiative qu’on nous annonce aille dans ce sens, qu’elle s’intègre sans à-coup au droit existant et vise à ramener un peu de réalisme dans la pratique plutôt qu’à relancer la confrontation idéologique. Après tout, le but n’est pas d’interdire la circulation par principe, mais de la maîtriser en fonction des intérêts à long terme de la Confédération, des Etats cantonaux et de leurs populations.

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