Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Le grand Louis

Ernest Jomini
La Nation n° 1783 28 avril 2006
«Quel est donc ce personnage dont la statue se dresse sur l’Esplanade de La Madeleine, près du palais de Rumine?». La dame qui me pose cette question connaît pourtant bien Lausanne, mais, chose surprenante, ne sait plus trop qui était cet homme élancé, revêtu de la redingote en usage dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pour qu’il soit tout à fait ressemblant, il aurait fallu lui mettre les lorgnons qu’il porte habituellement sur les portraits de l’époque. Il s’agit bien sûr de Louis Ruchonnet, surnommé «le grand Louis» par ses contemporains et les générations suivantes, jusqu’à ce qu’il tombe dans l’oubli de notre époque généralement ignorante de l’histoire; grand par la taille, mais aussi par ses qualités d’homme politique hors du commun.

Les politiques d’envergure ne courent pas les rues. Notre Pays de Vaud a eu le privilège d’en avoir quelques-uns au XIXe siècle: Monod, Muret, Pidou («les Pères de la Patrie») auxquels on doit l’organisation de notre Canton en 1803 et la sauvegarde de l’indépendance vaudoise en 1813-1815 au moment de la chute de Napoléon. Druey, le meneur de la révolution radicale vaudoise de 1845, puis du bouleversement politique fédéral en 1848; premier conseiller fédéral vaudois. Et enfin, une génération plus tard, Ruchonnet.

Si l’on en juge d’après l’ignorance de la dame citée plus haut, il est nécessaire de faire connaître aux Vaudois de 2006 ce grand politique. Nous le pouvons aujourd’hui grâce à la thèse de doctorat ès lettres de M. Olivier Meuwly publiée récemment (Volume 128 de la Bibliothèque historique vaudoise): Louis Ruchonnet, 1834-1893. Un homme d’Etat entre action et idéal. M. Meuwly, si l’on en juge par ses diverses publications, est aujourd’hui un des meilleurs – si ce n’est le meilleur – connaisseurs de l’histoire vaudoise de la seconde moitié du XIXe siècle. Il était donc à même de nous faire connaître ce grand Vaudois.

Dans une première partie, «les années de formation», l’auteur nous décrit la jeunesse de Ruchonnet, les sociétés (L’Helvetia, la Franc-maçonnerie) où le jeune étudiant en droit, puis l’avocat, va acquérir sa formation intellectuelle et politique. En 1863 il est élu au Grand Conseil, en 1866 au Conseil National.

Son élection au Conseil d’Etat en 1868 ouvre la deuxième partie de l’ouvrage: «Entre Lausanne et Berne – Ruchonnet en tant que chef politique». Au gouvernement, Ruchonnet se verra attribuer le Département de l’instruction publique. Il pourra travailler selon son désir au développement des écoles primaires et secondaires et ses réalisations marqueront pour longtemps l’école vaudoise. Il pose les jalons de la transformation de l’Académie en Université et aura la joie d’en voir la réalisation en 1891, alors qu’il est à Berne depuis quelques années. En 1874, Ruchonnet quitte le Conseil d’Etat pour reprendre son étude d’avocat. Décision surprenante, mais il semble que l’état de ses finances joua un grand rôle dans ce changement: on ne s’enrichissait guère à l’époque comme membre du gouvernement vaudois. Mais il reste conseiller national et prend une part active à la politique fédérale. En 1875, il est élu au Conseil fédéral mais refuse son élection.

Ce n’est qu’en 1881 que le Vaudois acceptera d’entrer au Conseil fédéral. C’est la troisième partie de l’ouvrage qui se terminera à la mort de Ruchonnet à Berne en 1893. M. Meuwly aborde ici toutes les grandes questions politiques que le conseiller fédéral vaudois eut à aborder et auxquelles il trouva souvent une solution satisfaisante. Citons en vrac quelques-unes d’entre elles.

Une première tentative très centralisatrice de réforme de la Constitution fédérale avait échoué en 1872. Ruchonnet, alors au Conseil d’Etat, avait lutté farouchement contre ce projet au nom du fédéralisme, et les électeurs vaudois l’avaient massivement suivi. En revanche, il sera favorable à la nouvelle Constitution de 1874. Il n’est pas encore à Berne, mais cette réforme constitutionnelle entraînera une unification du droit fédéral qui va se poursuivre pendant des années. Il devra s’en occuper dès son arrivée dans la Ville fédérale. Il lui faudra aussi tenter d’apaiser les graves tensions qu’avaient provoquées les luttes du Kulturkampf dressant à nouveau conservateurs catholiques contre radicaux. Le conseiller fédéral y réussira, ce qui est d’autant plus remarquable que, dans son for intérieur, il était farouchement opposé à ceux qu’on nommait «les ultramontains». Même rôle de conciliation en 1889 lors des troubles très graves survenus au Tessin. Il y avait eu des morts, et une intervention de l’armée fédérale avait été nécessaire pour rétablir le calme.

Un autre grand sujet qui occupa toute la carrière politique de Ruchonnet, à Lausanne comme à Berne, c’est la question des chemins de fer. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces questions très complexes, mais l’action incessante du Vaudois en faveur de la ligne du Simplon si importante pour le développement économique du Canton ne fut pas vaine. En 1906, treize ans après la mort du conseiller fédéral, le tunnel sera percé et la liaison avec l’Italie réalisée. On n’est pas loin des problèmes d’aujourd’hui, des concurrences pour le percement des tunnels routiers ou des constructions d’autoroutes. Ces quelques exemples suffisent à nous démontrer l’activité politique incessante de Ruchonnet.

Une des raisons de son succès est réseau qu’il avait réussi à constituer dans le parti radical vaudois qu’il tenait solidement en main. Il avait aussi créé l’organe de presse La Revue qui lui permettait d’influencer l’opinion publique. Même après son départ pour Berne, Ruchonnet continuait à diriger le Canton et son gouvernement grâce à son lieutenant Vessaz qui transmettait fidèlement les ordres. Rien d’important ne se décidait à Lausanne sans l’accord du grand chef.

Tout cela, M. Meuwly nous le connaître dans cette étude fort détaillée et passionnante. Il ne nous cache d’ailleurs rien des contradictions grand homme toujours partagé entre convictions fédéralistes affirmées, correspondent probablement à son attachement profond à la patrie vaudoise, ses prises de position centralisatrices déterminées par son idéologie radicale. fond, Ruchonnet était avant tout un pragmatique; c’est sa force qui explique nombre de ses réussites, mais aussi, yeux de M. Meuwly, sa faiblesse. L’auteur serait enclin à admirer davantage Druey chez qui convictions idéologiques et action politique ne font qu’un. En cas, nous devons être reconnaissants M. Meuwly de ne jamais tomber dans panégyrique. Il nous fait découvrir contraire un homme politique souvent contradictoire dans ses prises de positions mais capable de résoudre de ce les conflits violents qui agitèrent le Canton et la Confédération. Ajoutons l’ouvrage est illustré par des portraits de nombreuses caricatures de l’époque. Nous souhaitons à nos lecteurs le plaisir faire plus ample connaissance avec grand Vaudois.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Les choses commencent à bouger – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • Fédéralisme canin – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Qui dit mieux? – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Pénalophilie – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Mme Savary n’a pas besoin de savoir pour faire des lois – Olivier Delacrétaz
  • Un peu d'écologie ne fait de mal à personne – Fabrice Triponez
  • Les médecins à Berne et ailleurs – Georges Perrin
  • La sous-hérésie – Pierre-François Vulliemin
  • Juvenilia LIX – Roberto Bernhardt
  • Juvenilia LX – Jean-Blaise Rochat
  • Vocation – Jacques Perrin
  • On nous écrit: A propos des projets de lois ecclésiastiques – On nous écrit, Daniel Bovet
  • Sottise Academy – Jacques Perrin
  • Juvenilia LV – Olivier Delacrétaz
  • Hâte-toi lentement… et laisse-moi rouler! – Le Coin du Ronchon