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De quoi le féminisme est-il le nom?

Olivier Moos
La Nation n° 2221 24 février 2023

Le langage et les arguments des associations féministes sont devenus la lingua franca d’une large partie de nos élites, ayant fait son nid aussi bien dans le champ politique, les universités que dans la grande presse. Malgré le succès historique du mouvement depuis la fin du XIXe siècle, les politiques préférentielles et une égalité des droits de nos jours fermement enracinée, on nous rappelle néanmoins chaque printemps que les femmes demeurent disproportionnellement victimes d’injustices et que le combat contre le sexisme et les inégalités est plus urgent que jamais. Récemment encore, les deux manifestes suisses de la grève des femmes (2019) présentaient un long cahier de doléances: les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes, ces dernières ne sont pas représentées à égalité au sommet de l’échelle sociale, elles sont victimes de violences dans une sphère domestique où, qui plus est, les tâches ne sont pas distribuées équitablement. Nous sommes sommés d’accepter que toutes les disparités entre les sexes signalent nécessairement des discriminations; qu’il n’existe pas de différences moyennes de tempérament et de préférences entre hommes et femmes qui puissent contribuer à expliquer ces inégalités; et, last but not least, que l’injuste et têtue persistance de ces dernières prouve à la fois la pertinence du militantisme féministe au XXIe siècle et l’importance des politiques visant une «égalité des résultats».

La fanfare de la justice sociale ne laisse guère de place aux notes discordantes et des questions anodines telles que «comparé à quoi?», «quelles sont les preuves empiriques?» ou encore «à quel prix?» sont rarement posées. Or il y a de bonnes raisons d’être sceptique tant envers la manière dont les disparités entre les sexes sont théorisées qu’à l’endroit des ingénieries sociales censées les corriger.

La première assertion, par exemple, relève d’une simple mais indémodable erreur: disparité n’est pas synonyme d’injustice. Le faible pourcentage de femme au CERN (20%) n’atteste pas à lui seul de l’existence de discriminations ou des effets de biais sexistes dans le champ de la physique nucléaire, pas plus que l’écrasante majorité masculine dans les prisons ne prouve à elle seule l’existence de dysfonctionnements judiciaires ou de préjugés misandres.

Depuis un demi-siècle, il nous est asséné que les inégalités salariales sont le produit d’un système patriarcal qui désavantage les femmes, et depuis un demi-siècle, les économistes nous murmurent en vain qu’en intégrant à l’analyse toutes les variables pertinentes (âge, géographie, horaires, statut marital, continuité de l’emploi, éducation, etc.), cette disparité se réduit considérablement, souvent au point de devenir insignifiante. Quelques décennies de recherches économiques (de Claudia Goldin à Marco Salvi) sur le sujet nous apprennent en effet que les femmes ne sont pas discriminées en tant que groupe et que le facteur de loin le plus important pour expliquer cette inégalité salariale réside dans les choix individuels: en moyenne, hommes et femmes ne partagent pas les mêmes priorités et ne font pas les mêmes choix.

Une des réponses courantes à cet argument consiste à postuler une sorte de déterminisme socio-culturel assignant en amont différents rôles aux hommes et aux femmes. L’idée est que si nous éduquions nos enfants dans un milieu purgé de tout stéréotype de genre, ces différences non seulement disparaîtraient, mais la société se nivellerait aussi selon une distribution proportionnellement égale entre hommes et femmes. Rejeter la responsabilité des choix individuels sur la société est une vieille habitude de la gauche mais, curieusement, l’exercice semble être souvent à géométrie variable: si les hommes sont surreprésentés parmi les sans-abris, les prisonniers ou dans les métiers dangereux, c’est en raison de leurs choix et comportements; s’ils sont surreprésentés parmi les CEOs ou les mathématiciens, c’est en raison des normes et stéréotypes qui corsètent le potentiel des femmes. Ah! si seulement les médias et les écoles cessaient de prêcher à tue-tête les joies de la maternité et de la vie domestique…

Que les normes et stéréotypes affectent nos choix, personne n’en doute. Cependant, la question devrait plutôt être: quel pourcentage d’une inégalité donnée s’explique par les effets des attentes et biais socio-culturels? Ces derniers sont souvent invoqués pour expliquer l’apparent paradoxe d’une perpétuation des disparités malgré l’absence de discriminations objectives et l’existence de nombreuses politiques d’encouragement et programmes préférentiels. Cependant, si l’hypothèse que la socialisation fabrique les disparités entre les sexes était correcte, une égalisation des rôles socio-politiques devrait avoir pour conséquence un progressif nivellement de ces différences. Or c’est l’inverse qui semble s’observer: plus une société devient égalitaire, plus les différences entre hommes et femmes tendent à s’accroître et à graviter dans la direction des rôles sexuels traditionnels.

Certes, l’égalité des sexes n’est pas équivalente à la neutralité des genres et les stéréotypes ont la vie dure. Des curriculums «dégenrés» et l’imposition de quotas peuvent contribuer à transformer les normes implicites et à égaliser artificiellement la distribution entre hommes et femmes dans les positions de pouvoir ou de prestige, mais à quel prix? Comme avec le totem de la «diversité», les bénéfices d’une parité numérique sont apparemment aussi évidents qu’inexpliqués, et les coûts de ces ingénieries sociales dûment ignorés. Bizarrement, similaire effort n’est jamais proposé au profit des étages moins privilégiés de l’échelle sociale; l’on s’inquiète en effet peu de la distribution des sexes dans les équipes de bûcheronnage ou dans les services de la voirie.

Outre le fait que les discriminations positives entraînent des coûts et fabriquent des classes de bénéficiaires investis dans la perpétuation ad infinitum de ces programmes, le militantisme féministe doit faire face à un dilemme: soit les individus naissent parfaitement égaux dans leurs capacités, tempérament et propensions, et l’imposition d’une «égalité des résultats» revient à corriger les effets arbitraires de socialisation; soit ce n’est pas le cas et cet interventionnisme social revient à violer les principes de mérite et de liberté. Or les recherches en psychologie et biologie évolutionnaires nous indiquent qu’un grand nombre de différences moyennes entre les sexes ne sont pas produites par un environnement socio-culturel spécifique et se retrouvent à travers différentes cultures. Par exemple, le fait qu’en moyenne les hommes sont plus intéressés par des métiers portant sur les objets (ingénierie) tandis que les femmes le sont par des occupations impliquant des personnes (médecine).

En ignorant sélectivement certaines contraintes du réel, le militantisme féministe échoue à identifier la diversité des causes contribuant à expliquer les disparités dans la société. Puisque ces dernières sont vues comme arbitrairement produites par la socialisation, et que les humains sont conçus comme infiniment malléables et la société comme infiniment perfectible, toutes les inégalités (politiquement utiles) représentent autant de problèmes que l’on doit résoudre à l’aide de solutions, hélas! souvent liberticides. A mauvais diagnostic, mauvaise médecine.

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