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Une reprise en main

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1835 25 avril 2008
Les conseillers fédéraux ont très longtemps résisté à la tentation de s’engager personnellement dans les votations. Cette distance réservait l’avenir et préservait leur autorité en cas d’échec. Elle marquait aussi la distinction entre l’administration, qui prépare les projets de lois, et le législatif qui les discute, les modifie, et, finalement, les fait siennes. Le vote sur l’Espace économique européen et les débordements officiels dont il fut l’occasion ont changé tout cela.

Les mauvaises habitudes se prenant plus vite que les bonnes, le Conseil fédéral prit sans attendre celle de s’investir sans mesure dans chaque votation, souvent agressif, jouant au besoin une partie de la population contre l’autre et recourant à des staffs de «communicateurs» sans cesse plus nombreux.

Il s’ensuivit une dégradation immédiate des débats: qu’on pense aux invectives lancées par certains conseillers fédéraux à l’adresse des camionneurs opposés à la RPLP, des adversaires de l’ONU ou de ceux d’Armée XXI! Il en reste des rancoeurs tenaces, une perte de confiance et d’estime aussi. Tout le monde y perd, à l’exception des médias, qui préfèrent le spectaculaire au vrai, et du conseiller fédéral vaniteux qui fait son numéro dans l’arène.

Une association «Citoyen pour les citoyens» a réagi en déposant en 2004 l’initiative «Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale», dont on trouve le texte ci-dessous, qui vise à rétablir des moeurs politiques dignes de ce nom.

Membre du comité officiel d’opposition à l’initiative, le conseiller aux Etats Didier Burkhalter a déclaré que l’initiative «vise l’extinction de voix des autorités pendant les campagnes de votations fédérales». Le conseiller national lucernois Ruedi Lustenberger estime pour sa part que l’intervention du Conseil fédéral seule permet à la population de s’informer et de se forger librement un avis. La conseillère nationale soleuroise Bea Heim accuse l’initiative de «faire entrer le loup dans la bergerie». «Elle permettrait (le site de la RSR résume ainsi l’avis de la parlementaire), à des groupes financiers importants de dominer l’opinion en menant des campagnes mensongères à une large échelle, sans qu’aucune instance impartiale ne puisse mettre les choses au point dans le sens de la majorité démocratiquement exprimée par le Parlement».

Le comité d’opposition pose comme autant d’évidences que le Conseil fédéral est capable d’être à la fois dans la mêlée et au-dessus, que les décisions populaires sont strictement déterminées par l’ampleur des moyens engagés, que les opposants sont forcément riches et (donc!) forcément malhonnêtes. Dans cette perspective, le référendum n’est qu’une impureté institutionnelle.

Le comité fait aussi l’impasse sur les sommes réelles que le Conseil fédéral engage directement ou indirectement durant ces campagnes, sommes dont on n’a jamais pu avoir ni le gros ni le détail, et qui sont, pour une part, payées par les impôts des opposants. Enfin, il tient pour rien l’engagement de la presse, toujours à la botte du pouvoir quand il s’agit de centraliser ou d’étatiser.

Ces parlementaires ont apparemment oublié que leurs prédécesseurs défendaient eux-mêmes les projets qu’ils avaient repris à leur compte, les ayant remaniés et acceptés en votation. Pour leur part, ils confessent spontanément leur manque d’autorité morale et leur incompétence quant aux lois dont ils sont les auteurs. Quel aveu! On est bien entendu prêt à les croire, mais ça pose tout de même un certain nombre de questions de fond!

Le parlement fédéral change en profondeur. Censé représenter le souverain, peuple et cantons, face au Conseil fédéral, il est en train d’abandonner ce rôle au profit d’une fusion avec la bureaucratie fédérale: il n’est plus que co-législateur. Cet abandon de la fonction représentative a créé un vide entre la population et le pouvoir. L’UDC occupe ce terrain-là, et ce n’est pas un hasard s’il est le seul parti à soutenir l’initiative.

On nous objectera qu’un gouvernement doit aussi pouvoir s’exprimer et défendre ses projets devant le peuple. C’est vrai. Mais le gouvernement suisse n’est pas un gouvernement comme les autres. Comme le rappelle le troisième article de la Constitution fédérale, la Confédération ne dispose que de compétences déléguées. Les conseillers fédéraux ne sont pas des chefs d’Etat au sens usuel, mais plutôt des ministres aux pouvoirs limités, chargés par les cantons de maîtriser un certain nombre de domaines qu’ils ont en commun. La discrétion qui convient à tout ministre leur convient à eux aussi. L’initiative, avec la dernière phrase de la lettre a de l’alinéa 3 (nouveau) de l’article 34, circonscrit parfaitement l’aire d’intervention qui correspond à leur statut.

L’officialité partisane et administrative a besoin d’une sérieuse reprise en main pour lui rappeler que la Suisse est une Confédération d’Etats cantonaux souverains et une démocratie semi directe, non un Etat unitaire et centralisé.

Pour ce motif, nous recommandons l’acceptation de l’initiative, en soulignant qu’elle ne fait que formuler par écrit ce qui fut un usage helvétique incontesté jusqu’en 1992.

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