Juvenilia CV

«On aurait tort de croire que la politesse est le propre des sociétés comblées. La marche triomphante de la civilisation mécanicienne, au XIXe siècle, a contribué grandement à ruiner le sentiment de la politesse.» Ce texte de Georges Duhamel, tiré des Chroniques des saisons amères, 1940-1943, servait de base de réflexion dans une classe de 9e année. Le sentiment diffus était que la politesse avait en effet perdu du terrain. Pour alimenter d’exemples la thèse de Duhamel, on incrimina les téléphones portables aussi bien que les portes automatiques (on ne peut plus les tenir aux dames et aux personnes âgées!) Toutefois, il apparut clairement que ce n’était pas en supprimant la machine à laver qu’on retrouverait la politesse.

Abîmé dans ses pensées, Cyprien ne participait pas à la discussion. Il semblait étranger au débat, mais finit par lever la main: «Moi je crois que l’origine du déclin de la politesse n’a rien à voir avec la technologie. Ça date plutôt de la Révolution française. Les gens ont commencé à se tutoyer. On appelait le roi Louis Capet; on insultait la reine… Et le cordonnier qui apprenait des injures à Louis XVII…» Il ne sut développer plus avant sa réflexion, mais je trouvai admirable son intuition que «casse-toi pauv’con» ne pouvait être une citation de Louis XV. Il avait senti qu’en 89 des forces ténébreuses avaient soulevé les plaques des égouts, et que ce qui s’était répandu sur le monde nous salissait encore.

Je crois que l’origine de la politesse dans notre société est à chercher dans la vie monastique. Le chapitre 53 de la règle de saint Benoît (480–547) nous parle de la réception des hôtes: «Les frères doivent saluer les hôtes humblement: devant tous ceux qui arrivent ou partent, on inclinera la tête, ou bien on se prosternera en terre de tout le corps, pour honorer en eux le Christ, puisque c’est lui que l’on reçoit en eux.» La Révolution n’a pas seulement décapité le Christ, la Vierge et les saints aux porches des églises, guillotiné des Carmélites, elle a effacé la politesse qui allait avec cette civilisation.