Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Suivez le guide - La chapelle de la Vierge Marie

Ernest Jomini
La Nation n° 1972 26 juillet 2013

Nous imitons les pèlerins du Moyen Age et, après avoir médité sur l’Évangile au Portail peint, nous nous rendons dans la salle basse de la tour sud du transept. D’emblée nous sommes saisis par la richesse de la décoration de cette chapelle où les restaurateurs ont pu retrouver les magnifiques couleurs médiévales. C’est là que se trouvait la statue de Notre- Dame de Lausanne et on venait souvent de loin pour recourir à son intercession. Cette statue était en or et en argent. Elle fut, comme tout le trésor de la Cathédrale, emmenée à Berne et fondue pour faire de la monnaie.

En souvenir de ce lieu spécialement consacré à Marie, les initiateurs de la pose des vitraux dans les années 1930 ont choisi de représenter la Vierge et l’Enfant. Fidèle à la tradition médiévale de Lausanne, le peintre Charles Clément a représenté l’Enfant Jésus non pas assis, mais debout sur les genoux de sa Mère. Par la stature c’est un enfant, mais les traits de son visage sont ceux d’un jeune homme. De sa main droite avec trois doigts levés Il donne la bénédiction, car cet Enfant est le Seigneur.

– Mesdames et Messieurs, regardez maintenant le vitrail qui est à droite et qui représente la visite des rois mages à la crèche de Bethléem. J’ai le plaisir de vous annoncer que je suis donateur de ce vitrail.

Nos auditeurs sont surpris. Ils ne s’attendaient pas à avoir un mécène pour guide. Certains nous félicitent pour notre libéralité. Pour ne pas abuser plus longtemps de leur admiration, nous précisons:

– Quand j’avais dix ans, l’instituteur de l’école du village nous a dit un jour: «Demain vous êtes invités à apporter, si vos parents sont d’accord, 10 centimes pour offrir un vitrail à la Cathédrale de Lausanne.» Pour vous donner une idée de la valeur de l’argent à cette époque: 10 centimes c’était le prix des pâtisseries sèches, 20 centimes celui des pâtisseries à la crème. Bien entendu ce sont les parents qui ont donné la somme, car les enfants de 1930 n’avaient pas d’argent.

Toujours est-il que je suis donateur. Preuve en soit ce qui est écrit au bas du vitrail: «Donné par les Écoles primaires vaudoises, 1932».

Si nous nous permettons de raconter ce petit souvenir personnel, c’est qu’il illustre le fait qu’il y eut à cette époque un grand élan au Pays de Vaud pour redonner des vitraux à la Cathédrale.

On sait qu’il ne reste rien des vitraux médiévaux. La Rose mise à part, tout fut détruit au moment de la Réformation et on ignore même les sujets que ces vitraux représentaient. Il n’y eut donc pendant plus de trois siècles que du simple verre aux fenêtres de la Cathédrale. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on installa aux fenêtres de la façade Sud les vitraux historiques aux multiples armoiries qui sont encore en place aujourd’hui.

Mais ce n’est qu’après la première guerre mondiale, et surtout dans les années 1928 à 1935 qu’une campagne de récolte de fonds fut organisée pour doter la Cathédrale de véritables vitraux. La réponse des Vaudois fut encourageante et permit à la commission des vitraux de recourir aux talents de plusieurs artistes de notre pays. Après une première œuvre de Marcel Poncet, Edmond Bille, Alexandre Cingria, Charles Clément, François de Ribaupierre et Louis Rivier mirent leurs talents au service de cet apport artistique aux fenêtres de la Cathédrale.

Œuvre inachevée, puisqu’il reste encore quelques fenêtres où il n’y a que du simple verre. Peut-être n’a-t-on pas voulu trop obscurcir l’édifice et conserver une lumière suffisante pour qu’on puisse mieux admirer l’architecture gothique? Ou les donateurs étaient-ils moins nombreux ou moins généreux: en effet une grave crise économique sévissait alors.

Étant fils de pasteur et à cette époque jeune collégien, nous avons conservé le souvenir des propos qui s’échangeaient aux sujets des nouveaux vitraux, soit en famille, soit avec des collègues de notre père venus partager notre repas. Notre père n’était pas trop favorable à la pose de ces vitraux qui auraient pour effet «d’obscurcir la Cathédrale». On devrait allumer la lumière en plein jour pour voir clair pendant la célébration des cultes. Et à cette époque on savait encore ce que voulait dire économiser l’argent et l’électricité.

Et puis certains sujets abordés par ces vitraux n’étaient pas sans causer des remous. En particulier le vitrail consacré à la Vierge Marie qui, disait-on, était déplacé dans un temple protestant. On soupçonnait là une manœuvre des catholiques: n’auraient- ils pas donné de l’argent pour payer ce vitrail et amorcer un retour du culte de la Vierge à la Cathédrale? Autre hypothèse: une initiative des Anciens de Belles-Lettres, société d’étudiants avide de manifestations anticonformistes? On pouvait même imaginer le pire: une menée de Bellétriens catholiques, comble de l’horreur pour un Helvétien radical. Les Anciens Helvétiens, eux, avaient aussi offert un vitrail à la Cathédrale. Mais là, rien à redire, puisque le thème était authentiquement vaudois et patriotique: le Major Davel. Quoi qu’il en soit, malgré ces réticences bien vaudoises, les vitraux ont été posés et on ne peut aujourd’hui que s’en féliciter.

Mais revenons à 2013 et à la chapelle de la Vierge. Sur une table disposée à cet effet, on trouve des informations sur les deux pèlerinages qui se pratiquent maintenant. Celui, bien connu et très fréquenté, qui mène à Saint-Jacques de Compostelle. Et un autre, remis à l’honneur depuis quelques années seulement, qui conduit les pèlerins de Cantorbéry à Rome. Venant de l’Est de la Suisse et se dirigeant sur Genève, ou arrivant de Pontarlier et repartant en direction de Saint-Maurice et du Grand-Saint-Bernard, les pèlerins se croisent à Lausanne et c’est à la Cathédrale que tous ces courageux marcheurs viennent mettre sur leur carnet de route le sceau qui atteste de leur passage.

Notre époque moderne sur ce point est plus proche du Moyen Age qu’on ne l’imagine.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: