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Aberrations électriques

Cédric Cossy
La Nation n° 1972 26 juillet 2013

L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et sa cheffe Mme Leuthard préparent l’avenir énergétique de la Suisse. Dans le domaine électrique, la fermeture des centrales nucléaires est annoncée pour 2035. Pour compenser cet arrêt, on prône l’austérité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Une fiscalité écologique aux contours imprécis devrait voir le jour en 2020, afin de faire payer aux consommateurs le subventionnement de nouvelles installations de production vertes. La Suisse n’a d’yeux que pour l’Allemagne, admirée pour sa politique verte très en avance.

Le modèle allemand

Nos voisins du Nord sont soumis depuis l’an 2000 à la loi sur les énergies renouvelables (EEG = Erneuerbare-Energien- Gesetz) dont les Suisses se sont partiellement inspirés pour définir le principe de la rétribution à prix coûtant (RPC): l’exploitant d’une source d’énergie verte reçoit un subside pour ramener le prix du courant livré au prix du marché. Le financement de ce subside est assuré par une taxe reportée sur le consommateur final de courant. Contrairement à la RPC, qui prévoit des enveloppes subsidiaires limitées et attribuées selon une liste d’attente, le système allemand soutient tous les projets, augmentant lors de chaque exercice la taxe à la consommation afin de couvrir les subventions. A fin 2012, la part de l’EEG dans la facture des particuliers dépassait la part liée au prix du courant.

C e système fait des Allemands les élèves modèles de l’énergie verte. Le pays abrite 32% des installations photovoltaïques et 11% des installations éoliennes en service au monde; ces infrastructures sont capables de délivrer 60 GW en puissance de pointe, valeur proche de la consommation indigène, qui oscille entre 55 et 75 GW. L’Allemagne a décidé la fermeture à très court terme de ses installations nucléaires. C’est courageux, mais nullement téméraire: la puissance indigène issue de centrales traditionnelles (charbon, gaz, nucléaire et mazout,) avoisine les 93 GW, dont 14% seulement d’origine nucléaire. En renonçant aujourd’hui à l’atome, l’Allemagne reste largement autarcique.

Cette foison d’énergie renouvelable pose des problèmes d’ordre technique. La production d’énergie verte est très erratique: les éoliennes ne produisent que durant le quart de l’année, le solaire pendant un huitième. La puissance «verte» peut passer en quelques heures de zéro à la puissance nominale consommée. Le réglage du réseau nécessite en tout temps la disponibilité de centrales traditionnelles capables de démarrer ou de s’arrêter selon les caprices de la météo. Il faut d’autre part que le réseau de distribution soit dimensionné pour permettre le transfert de fortes puissances sur de longues distances, amenant par exemple à certaines heures le courant éolien de la mer du Nord aux industriels bavarois ou, inversement, en alimentant les Hambourgeois en panne de vent depuis les centrales à charbon de l’ex-RDA.

La seconde difficulté est liée aux excédents de capacité découlant de cette politique de subventionnement. La surcapacité allemande provoque depuis deux ans une baisse substantielle du prix du courant sur le marché européen. Cette vague verte a également inondé le marché des certificats CO2: l’offre dépassant largement la demande, le cours de ces certificats s’est effondré. Simultanément – et pour des raisons tout autres –, le prix du gaz a pris l’ascenseur. A ce jour, les centrales à gaz produisent à perte alors que les centrales à charbon affichent une solide rentabilité, ce malgré la nécessité d’acheter des certificats CO2 compensatoires. Ainsi, sur les 13 GW de puissance prévue dans de nouveaux projets de centrales conventionnelles, 85% seront produits à partir de charbon. Résultat pour le moins paradoxal pour une politique «verte» qui se veut exemplaire!

Conséquences en Suisse

La Suisse dispose d’une structure de production électrique totalement différente de l’Allemagne. Les parts provenant de nouvelles sources renouvelables ou d’énergie fossile sont marginales. L’hydroélectricité – source éminemment renouvelable – et le nucléaire se taillent la part du lion, assurant chacun plus de 40% des besoins. Le reste est importé. La Suisse est ainsi aujourd’hui déjà dépendante de l’étranger pour une partie de son approvisionnement. La sortie du nucléaire est donc nettement plus téméraire que chez nos voisins: on renonce à 43% de la capacité d’approvisionnement, alors que l’on ne dispose ni de capacité en excès, ni de projets convaincants pour les sources de substitution.

Conscient du problème, l’OFEN a imaginé un scénario en deux phases: la première consiste à développer des centrales à gaz au fur et à mesure de l’arrêt des centrales nucléaires. Ce moyen de production se veut transitoire, le temps de développer dans la seconde phase les sources renouvelables nécessaires. Dans l’immédiat, l’encouragement aux énergies vertes est copié sur le modèle allemand. Les besoins croissants de la RPC seront financés par une hausse des taxes sur la consommation: le passage de la taxe RPC de 0,45 à 1,5 ct/kWh est en discussion.

La Suisse participe déjà pleinement au marché européen de l’électricité. L’offre pléthorique actuelle, le subventionnement à la source des énergies renouvelables et le franc fort permettent aux consommateurs suisses d’une certaine importance d’acheter du courant aux environs de 5 ct/kWh, voire moins durant la nuit1. De tels prix sont plus du tiers inférieurs aux coûts de production d’une centrale à gaz. En conséquence, tous les projets helvétiques utilisant cette technologie – pensez à Chavalon – ont été mis au frais dans l’attente de jours peut-être meilleurs. Ceci invalide les plans de l’OFEN avant même leur entrée en vigueur: sans centrale à gaz, la Suisse est condamnée à la dépendance d’importations massives au fur et à mesure de l’arrêt de ses centrales nucléaires. Après le Cassis-de-Dijon, doit-on craindre le principe de l’électron-de-Flensburg?

Les barragistes valaisans ont tiré la sonnette d’alarme sur un problème plus grave encore2: avec un prix de revient de l’hydroélectricité estimé entre 7 et 10 ct/kWh selon le niveau d’amortissement des installations, les producteurs suisses ont le choix de vendre à perte ou de voir leurs gros clients s’approvisionner sur le marché libre. Sans régulation du marché ou sans subvention de ces anciennes sources d’approvisionnement, au demeurant très renouvelables, certaines d’entre elles seront mises à l’arrêt.

Un marché obligatoirement régulé

La situation reste pour le moins instable. Côté allemand, combien de temps faudra-t-il au gouvernement pour changer les termes de l’EEG, qui pénalise l’industrie indigène par une taxe à la consommation, ceci pour subventionner du courant pour l’exportation? Du jour au lendemain, le prix sur le marché libre européen risque de doubler! De plus, la force du franc ne sera pas éternelle. L’hydroélectricité a probablement encore de beaux jours devant elle.

L’électricité ne se laisse pas facilement mettre en bouteille. On a beau évoquer le pompage-turbinage ou des systèmes électrochimiques plus ou moins complexes, rien de sérieux n’existe à ce jour pour stocker et réguler la production très capricieuse d’origine éolienne et photovoltaïque. En attendant, chaque source renouvelable doit avoir sa doublure thermique conventionnelle pour assurer le réglage du réseau. La situation de surcapacité qui en découle ne peut qu’affoler le marché; une forte régulation étatique et des subventions croisées sont inévitables pour une croissance harmonieuse des sources renouvelables et conventionnelles. Adieu donc au rêve d’un marché libéralisé, qu’il soit suisse ou européen. La situation ne sera pas différente si des techniques crédibles de stockage viennent à voir le jour. Le prix d’une production «verte», de son stockage et de sa redistribution ne sera jamais compétitif face aux techniques de production conventionnelles. Il faudra ici aussi un système de subventions solides pour que les investisseurs osent s’y risquer.

L’exemple allemand montre que des intentions vertueuses ne conduisent pas forcément au résultat écologique escompté. L’exemple mérite pour le moins d’être soigneusement analysé par l’OFEN avant d’être copié en Suisse.

Notes:

1 Lors de période de très basse consommation (nuit, week-end), le prix «spot» peut être nul, voire négatif: il est moins cher de payer les consommateurs plutôt que de prendre les mesures techniques destinées à réduire le niveau de la production à celui de la demande.

2 Voir Le Temps ou le Nouvelliste du 19 juin 2013.

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