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Non à un véto fédéral sur les forfaits fiscaux

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 2004 31 octobre 2014

L'une des trois initiatives populaires sur lesquelles nous nous prononcerons le 30 novembre s’intitule «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux)». Tout un programme!

L’imposition au forfait, aussi appelée imposition d’après la dépense, concerne des étrangers aisés qui résident en Suisse sans y exercer d’activité lucrative. Pour ces personnes, la base imposable est déterminée non par leurs revenus – réalisés dans un ou plusieurs pays étrangers, où ils sont d’ailleurs souvent déjà taxés – mais en fonction du train de vie qu’ils mènent en Suisse. L’assiette fiscale est calculée de façon forfaitaire, au quintuple de la valeur locative ou du loyer (septuple dès 2016) ou au double des frais de pension (triple dès 2016), sous condition d’un montant minimum variant autour de 300 000 francs selon les cantons (400 000 francs sur le plan fédéral dès 2016).

Un peu plus de 5 600 personnes sont actuellement imposées selon ce système, principalement dans les cantons de Vaud, Genève, Valais, Tessin, Grisons et Berne. C’est là une première difficulté de la votation: il s’agira de convaincre une majorité de cantons alémaniques de la pertinence de cette forme d’imposition qui les concerne assez peu.

La seconde difficulté consistera à convaincre de nombreux contribuables suisses, imposés régulièrement sur leurs revenus et leur fortune, qui ressentent les forfaits fiscaux comme un privilège injuste octroyé à quelques super-riches. Deux arguments doivent ici être pris en considération.

Le premier est que, privilégiés ou non, les étrangers en question apportent beaucoup d’argent à la Suisse. Ils paient en moyenne 124 000 francs d’impôts par année, soit quinze fois plus qu’un ménage suisse. Au total, les recettes fiscales qu’ils génèrent atteignent aujourd’hui 700 millions de francs par année; elles pourraient approcher le milliard avec les règles plus sévères qui s’appliqueront dès 2016. A cela s’ajoutent plusieurs dizaines de millions de francs de cotisations AVS. Pour le seul Canton de Vaud, ce sont 154 millions de francs de rentrées fiscales, soit le budget annuel affecté aux transports publics. En dehors des budgets publics, les dépenses de consommation et d’investissements de ces personnes sont évaluées à environ 3 milliards de francs, sans compter 470 millions de mécénat envers des institutions d’utilité publique et des manifestations culturelles et sportives.

Le second argument est que beaucoup de pays proposent des conditions d’imposition similaires, voire plus favorables, afin d’attirer cette catégorie de contribuables. Si l’on tient compte que de telles personnes n’ont pas forcément des attaches déterminantes avec la Suisse, on devine qu’elles pourraient facilement partir s’établir sous des cieux plus cléments. C’est ce qui s’est passé à Zurich, où la suppression des forfaits fiscaux en 2009 a rapidement fait fuir plus de la moitié des contribuables concernés; contrairement à ce qu’affirment certains partisans de l’initiative, le bilan pour les finances publiques cantonales est bel et bien négatif.

Il faut être réaliste. Les cantons qui admettent l’imposition au forfait, pour des raisons pratiques autant que par souci de compétitivité, en retirent un avantage concret. L’idéal abstrait de l’équité fiscale, si tant est qu’on puisse définir précisément cette notion (est-il inéquitable d’appliquer un système particulier à des situations particulières?), ne justifie pas qu’on les en prive – et encore moins que la Confédération intervienne en ce sens. Nous voterons NON à cette initiative qui, prétendant dénoncer une injustice qui n’en est pas une, menace de nous appauvrir sans aucune raison valable.

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