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René Berthod, alias Rembarre, vitupérateur chrétien et homme de foi

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2072 9 juin 2017

Dans le langage courant, le verbe rembarrer signifie: repousser vigoureusement. Pendant les guerres de Vendée, les Chouans chargeaient les Colonnes infernales de Turreau venues les génocider au cri de «Rembarre, rembarre!» René Berthod, l’une des meilleures plumes de la presse valaisanne, en avait fait à la fois sa devise et son nom de plume.

Agé de septante-neuf ans, il est décédé le 30 avril dernier à l’Hôpital de Sion, entouré de l’affection de ses sept enfants et vingt-cinq petits-enfants. Ce fils d’un instituteur d’Orsières fait des études aux Collèges de Brigue et de Martigny, puis à l’Ecole normale des instituteurs de Sion, avant d’obtenir une licence ès lettres à l’Université de Fribourg avec un mémoire sur Claudel, Mauriac et Bernanos face à la Guerre d’Espagne. Pendant trente-cinq ans, il est maître secondaire au Cycle d’orientation d’Orsières: à plein temps pendant quinze ans, à temps partiel (environ septante pour cent) dès l’invention de Rembarre. Disciple inconditionnel de Grevisse, il témoigne d’une fidélité absolue à l’analyse grammaticale et logique classique, et mène un combat résolu contre l’enseignement renouvelé du français. Dans Main basse sur l’école (1981), il pointe un enseignement victime du climat intellectuel dominant et qui «accepte avec une servilité surprenante tout ce qui va chercher dans l’esprit révolutionnaire son dynamisme et son inspiration». Cette influence s’exerce principalement par le biais du Concordat romand; l’école cantonale a échappé aux conseils des praticiens et partiellement à l’action de l’autorité cantonale. Même diagnostic dans L’Ecole à tous les vents, où son coéquipier Roger Pitteloud présente une étude sur «les origines intellectuelles des réformes scolaires» (1982). Seule la fidélité aux valeurs permanentes qui ont fait la qualité de l’école permettra de filtrer le foisonnement des nouveautés et d’en retenir la part positive. En 2001, il prône l’introduction du «bon scolaire», se voit accuser de vouloir le démantèlement partiel de l’enseignement public et, injure suprême, de faire le jeu du libéralisme…

Né et éduqué dans le service d’une politique conservatrice d’inspiration catholique, René Berthod est, avec Roger Lovey et Guy Genoud, l’un des chefs de file du mouvement catholique traditionnaliste en Valais. Il accède très jeune à la présidence de la Fédération des Jeunesses conservatrices chrétiennes sociales – aujourd’hui démocrates chrétiennes – du Valais romand. En 1969, il est la cheville ouvrière de l’élection au Conseil d’Etat de son grand ami Guy Genoud. Il préside aussi le Parti conservateur chrétien social orserin avant de devenir conseiller communal et président de la commission scolaire; c’est en cette qualité qu’il impose d’autorité le maintien du catéchisme traditionnel, en opposition à son curé, mais avec l’appui de ses collègues. Il est en 1980 le cofondateur du Renouveau Rhodanien puis, en 1995, le cofondateur du Mouvement chrétien conservateur valaisan, voué à la défense du droit naturel et des principes fondamentaux du ci-devant Parti conservateur catholique valaisan. Sous-préfet puis préfet de l’Entremont pendant plus d’un quart de siècle, il est à l’origine de la fondation du Service médico-social de ce district et un pionnier du développement des soins à domicile.

Mainteneur du patois et animateur d’une troupe de théâtre, il est aussi et surtout connu du grand public comme chroniqueur et pamphlétaire. Ses billets du Nouvelliste (dès 1978) et ses éditoriaux de la Gazette de Martigny (dès 1984) sont de véritables pièces d’anthologie. Rédigés au vitriol, ils ciblent autant les caciques du Parti radical (avec une prédilection marquée pour le conseiller d’Etat Arthur Bender et le rédacteur en chef du Confédéré Adolphe Ribordy) que ceux d’un Parti démocrate-chrétien dans lequel il dit ne plus se reconnaître «depuis la sinistre assemblée de Soleure qui vit le PDC rejoindre majoritairement le camp de l’avortement légalisé». La «bonne presse» – entendez Le Courrier de Genève et La Liberté de Fribourg – et tout ce qui gravite autour du Matin de Lausanne ont aussi droit au sifflet et à la huée. Dans un billet assassin intitulé «C’est le pied», le journaliste du Nouveau Quotidien Michel Zendali se voit réduit au terme d’un ingénieux processus de dégradation à l’état de petite sandale… Un jour, une bonne âme que le polémiste n’a pas ménagée lui propose de changer de pseudonyme, prétextant que rembarrer son prochain, pour un défenseur de la morale chrétienne, ne figure pas dans les commandements de l’Eglise. C’est oublier que Rembarre pratique par-dessus tout la vertu de persévérance!

L’Age d’Homme publie en 1993 une sélection de ses billets sous le titre Rembarre – Billets 1978-1990. L’éditeur relève qu’ils témoignent d’une pensée profondément anticonformiste et originale pour l’époque: chaque flèche de Rembarre vise juste et chaque année qui passe met en évidence le bien-fondé de ses jugements d’hier. Ils révèlent aussi «un don littéraire naturel, une plume classique, sobre et claire, comme on n’en rencontre plus guère dans la presse, de même qu’un tempérament de polémiste franc et droit qui n’est plus commun dans la littérature». Pour Slobodan Despot, «l’exemple de ce notable devenu franc-tireur, de ce pamphlétaire malgré lui, nous donne une admirable leçon de savoir-vivre et d’indépendance d’esprit». Du même coup, Rembarre se voit placer «dans la grande lignée des vitupérateurs chrétiens inaugurée par Tertullien, dont l’orthodoxie spirituelle a produit une pensée vivante, chaleureuse et libre qui est le meilleur antidote contre la sclérose intellectuelle des bien-pensants».

André Luisier ne lui fera sauter qu’un Rembarre sur plus de six cents dans le Nouvelliste et un édito dans la Gazette. Il s’agissait dans les deux cas d’écrits pouvant nuire à ses manœuvres de rapprochement avec les minorités valaisannes. René Berthod cesse toute collaboration aux deux journaux fin 2001. Il apprendra plus tard qu’André Luisier, en 1993, avait hésité entre Hermann Pellegrini et lui pour lui succéder, ce qui avait fait du bruit au Nouvelliste. Alors qu’il demandait au juge Philippe Chastelain, ami de Luisier et membre du conseil d’administration, pourquoi Pellegrini lui avait été préféré, le juge répondit: «Mais, M. Berthod, parce que vous, vous auriez osé lui dire m…!»

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