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La dernière nuit de Kleopatra

Le Coin du Ronchon
La Nation n° 2090 16 février 2018

Le sport (contrairement au rire) nuit gravement à la santé. Jusque-là, rien que nous ne sachions déjà. Ce que nous découvrons aujourd’hui, c’est que le sport nuit aussi à la santé des lamas.

Pas le Dalaï (qui a la sagesse de ne pas en faire), mais les autres.

C’est le journal 20 minutes qui nous a révélé cette tragédie. Dans le parc animalier de Weihermätteli, dans le canton de Bâle-Campagne, un groupe de joggeurs équipés de lampes frontales a déboulé à toute vitesse le long d’un enclos. Ce faisant (rien à voir avec l’oiseau), ils ont effrayé la petite Kleopatra. Kleopatra n’est pas une joggeuse, mais un bébé lama – néanmoins devenu brièvement joggeur bien malgré lui. La petite Kleopatra, donc, a eu tellement peur de ce soudain troupeau lumineux et haletant qu’elle s’est enfuie au galop (bien que de minutieuses recherches sur internet ne nous aient pas permis de déterminer si un lama «galope» vraiment) et, comme elle ne portait pas de casque, s’est alors fracassé le nez (qu’elle avait fort joli) contre un poteau. Grièvement blessée, elle a dû être euthanasiée. L’article se termine de manière un peu abrupte en expliquant que «l’affaire n’aura pas de conséquences pour les sportifs».

Nous aurions voulu inventer une histoire aussi abracadabrante que nous n’aurions sans doute pas eu l’imagination nécessaire. Cela étant, la chute nous laisse un peu sur notre faim – ce qui est paradoxal, sachant que la viande de lama est très appréciée en Amérique du Sud. Un animal est mort, un bébé de surcroît, et l’Etat n’envisage pas d’intervenir? Faut-il en déduire que les lamas constituent une espèce non seulement moins protégée que les dahus, dont ils constituent pourtant une version légèrement plus équilibrée, mais aussi moins protégée que les joggeurs à lampe frontale?

Nous attendons qu’un politicien désireux de se faire réélire (donc un politicien tout court) se saisisse de ce problème et interpelle les autorités; que ces dernières constatent la «nécessité d’agir»; que des experts des offices fédéraux de l’environnement, du sport et de la santé publique se réunissent, nomment des commissions, des groupes de travail, mandatent des spécialistes, créent des observatoires. Il faut concevoir des panneaux «Attention lamas», ou mieux: «Attention joggeurs à lampes frontales». Limiter la vitesse sur les pistes vita et installer des radars aux abords des zoos. Obliger les joggeurs à éteindre leurs phares la nuit, et les lamas à porter des lampes frontales. Inciter les sportifs à aller faire du vélo sur les trottoirs plutôt que de la course au milieu des animaux. Aménager des sentiers lumineux pour les lamas, comme au Pérou. Instaurer une assurance dentaire obligatoire pour ces camélidés qui se fracassent la mâchoire au moindre poteau (la «prime Lama» sera prélevée directement sur les salaires).

On a tort de critiquer les journaux gratuits. Outre le fait qu’ils sont gratuits, ils constituent une source inépuisable d’inspiration.

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P. S.: Notre ami et dessinateur Stak a catégoriquement refusé d'illustrer la présente chronique, sous prétexte qu'il est parti en voyage de noces après son mariage célébré le 3 février dernier. Nous félicitons néanmoins les heureux époux et formulons nos meilleurs vœux pour leur avenir.

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