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Mitage ou grignotage?

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2111 7 décembre 2018

La mite, aussi appelée teigne des vêtements, est un insecte réputé pour faire des trous dans les habits.

Le mitage du territoire, c’est le contraire. Il n’y a pas de trous mais les constructions sont éparpillées sous la forme d’un étalement urbain et anarchique dans le paysage naturel. On pourrait aussi l’appeler «grignotage du territoire».

Depuis que les plans de zones existent, les communes et les cantons tentent de limiter l’éparpillement des constructions. A partir de 1980 et l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT), ces mesures se sont renforcées et on ne peut plus construire sa villa ou son usine ou aménager un terrain de football n’importe où. Il faut rester à l’intérieur de la zone à bâtir.

La dernière révision de la loi fédérale est entrée en vigueur en 2014. Elle impose aux collectivités publiques non seulement de définir les futures zones à bâtir de telle manière qu’elles répondent aux besoins prévisibles pour les quinze années suivantes, mais aussi et surtout, elle leur impose de réduire les zones à bâtir surdimensionnées. Dans notre Canton, plus de 150 villages se trouvent dans cette situation. Il n’est donc pas question pour eux de créer de nouvelles zones à bâtir.

L’initiative populaire intitulée «Stopper le mitage – pour un développement durable du milieu bâti (initiative contre le mitage)» a été déposée à la Chancellerie fédérale en 2016. Nous voterons sur ce texte le 10 février 2019. L’Assemblée fédérale nous recommande de la rejeter.

Cette initiative constitutionnelle propose d’ajouter quatre alinéas supplémentaires à l’article 75 de la Constitution fédérale.

Pour faire passer les restrictions prévues aux 6e et 7e alinéas du projet, les initiants les enrobent dans le sucre des 4e et 5e alinéas qui posent de beaux principes invitant les autorités à veiller à créer un environnement favorable à des formes d’habitat et de travail durables dans des structures de petite taille se caractérisant par une qualité de vie élevée et de courts trajets (quartiers durables) ainsi que par le développement du milieu bâti vers l’intérieur, qui s’accorde avec une qualité de vie élevée et des dispositions de protection particulières, pour reprendre les termes de l’initiative. Ces voeux à caractère incantatoire figurent déjà clairement dans la LAT. Il suffit de relire les articles 1 et 3 de cette loi. On ne s’y attarde pas.

Le 6e alinéa proposé équivaut à interdire toute extension de la zone à bâtir existante. En effet, une nouvelle zone à bâtir ne pourrait être validée que moyennant compensation intégrale, qualitativement et quantitativement, par la restitution à la zone agricole d’une zone à bâtir existante.

La version actuelle de la LAT interdit déjà toute création de nouvelle zone à bâtir dans tous les secteurs où il y a des zones existantes qui sont suffisantes pour les besoins des quinze prochaines années. En plus, les zones à bâtir surdimensionnées doivent être réduites.

Mais, dans certains cantons et certaines régions, les zones à bâtir existantes sont épuisées et une interdiction de ce type créerait des difficultés, que ce soit pour le logement de nouveaux habitants ou pour l’installation d’entreprises dont notre économie a besoin. Dans son Message du 11 octobre 2017, le Conseil fédéral est à cet égard clair et fédéraliste: Une mesure aussi sévère ne tient pas compte adéquatement de l’évolution démographique, du développement économique et des situations propres à chaque canton ou région. La mesure très stricte proposée par les initiants serait disproportionnée

Le 7e alinéa prévoit, pour freiner les constructions agricoles dans la zone agricole, que seules devraient être admises les constructions et installations destinées à l’agriculture dépendante du sol. Ce serait donc l’interdiction des poulaillers et porcheries qui permettent aux agriculteurs de subsister par des activités complémentaires non dépendantes du sol puisque les volailles et les porcs sont nourris principalement de fourrages importés.

La situation économique des agriculteurs est difficile. Ils doivent malheureusement compter sur les paiements directs pour survivre. Dans ce cadre, la possibilité qui leur est laissée actuellement de développer sur leurs exploitations des activités ne dépendant pas directement de la culture du sol est nécessaire. Pourquoi interdire aux Helvètes de manger du saucisson ou des cuisses de poulets produits en Suisse?

On rappellera au passage qu’un agriculteur ne peut construire un bâtiment ou une installation dans la zone agricole qu’à des conditions très nombreuses et sévères. Les nouvelles constructions doivent être «nécessaires à l’exploitation» et diverses mesures sont mises en place dans la LAT pour éviter autant que possible de construire sur des surfaces dites d’assolement. Les jurisprudences des tribunaux cantonaux et du Tribunal fédéral sont riches de cas dans lesquels les agriculteurs se voient refuser un permis de construire car leur projet ne correspond pas à toutes les conditions posées par la LAT.

La loi fédérale sur l’aménagement du territoire a été revue à plusieurs reprises depuis son entrée en vigueur en 1980. Les limites qu’elle fixe à la création de nouvelles zones à bâtir et les contraintes qu’elle impose à ceux qui veulent construire dans la zone agricole permettent de considérer que l’initiative sur laquelle on votera le 10 février 2019 est inutile, obsolète ou, pour une des dispositions qu’elle préconise, totalement disproportionnée. Elle ne mérite pas notre approbation. Nous voterons non.

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